Bref, la musique concerne non seulement le style mais aussi la thématique et l’invention verbale. Et n’oublions pas la danse ; on connaissait sans doute déjà la valse hésitation mais voici qu’arrivent « le tango Ecriteau », « la valse L’Eloquence », « la sardane Anxiété » et « le Tango Perdition ». Pourtant, ces danses-là concernent plutôt des œuvres comme La Chair de l’homme, pièce où l’on danse aussi la « danse de Ceci » (p. 238).
Dans La Lutte des morts et « [sous] les grands coups d’Ada la Rythmicienne » (p. 432), on parle plutôt de samba (p. 347) de paso (p. 466) et même de « passo » (p. 452) et l’on y danse aussi la « quatadronne au son des castagnés » (p. 345) ainsi que le « quadrille de pompes à trou » (p. 346) ; quant à la valse, elle sera omniprésente : il y a la « Valse des culs qui font des couacs » (p. 440), la « Valse à patapons » (p. 358), les « valses porchières » (p. 462), le « bal où valsent les plantes » (p. 345) et la « danse à Labadrap, la valse à Macabiat » (p. 462). La Lutte des morts ayant un côté sombre et torturé, il s’agissait sans doute de rééquilibrer novariniennement les choses et d’introduire des mouvements de révoltes gaies comme en criant « Samba ! » à la page 347 ou en s’encourageant à danser, comme dans « Girez la valse Macabiat ! » à la page 462. Par ailleurs, la valse indique un mouvement tournant qui s’apparente un peu à la dancerie novarinienne, l’auteur nous faisant peut-être aussi tourner en bourrique (si l’on nous passe l’expression).
Dans Le Discours aux animaux, la valse fera retour car outre la « danse arrière automatique pour l’oreille gauche » (p. 52), on dansera la « valse lourde » (p. 193) et des « valses à mille pattes » (p. 83) rappelant la fameuse « valse à mille temps » de Jacques Brel, également parodiée par Jean Poiret dans la « Vache à mille temps » (cas intéressant de suppression-adjonction). Dans Le Babil des classes dangereuses, on dansera le « ballet des andouilles » (p. 221) et le « tango de la mort » (p. 316) et une « fanatique de l’histoire comparée du tango » se prononcera doctement sur l’absence de scie musicale dans « Crépuscule » (et son apparition prophétique dans « Media Luz ») et évoquera les surprenants accords du bandonéon en feu dans le « Tango de la Fauvette » (p. 215). Au « bal Moche » (l’expression ressemblant à « Boul’Mich ») du Drame de la vie (p. 123), on dansera la « danse de Jean Dieu, la Tubanne, la Merlimique, la Curaço, la Habanna-Tuyaude, la Picardy et le Steeple-patte », danses « exotiques » pour certaines – et n’oublions pas la « danse de colère » de la page 198, où les pieds jouent un grand rôle (on peut aussi « danser la liste »). Dans L’Origine rouge, outre la « façon limougeotte », on aura le « ballet à l’alsacienne » (p. 142) et dans La Scène : le « Boléro chronique » (p. 156). Enfin, dans L’Acte inconnu, il y aura sur scène plusieurs mouvements de danse (notamment lorsque s’expriment les Chantres 1 et 2) et des gestes de flamenco réalisés par Valérie Vinci, ceux de Manuel Le Lièvre (remplaçant Dominique Pinon) évoquant plutôt par instants ceux de Mickael Jackson ou du Travolta de Pulp Fiction.
L’important ici, c’est de s’exprimer en « danse qui danse » (car toute danse ne danse pas) : « Exprimez-vous en danse qui danse » (D.A., p. 32) : voilà, au fond, le seul véritable message de Valère Novarina (« Musique ! Musique ! » dit-il ailleurs). En fait, l’auteur pourrait presque reprendre à son compte l’impératif, impérieux et vibrant d’Arthur Rimbaud : « Cris, tambour, danse, danse, danse, danse […] Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse ! ».109
Arthur Rimbaud, « Mauvais sang », Une saison en enfer, Mille et une nuit, Turin, 1993, p. 15.