3.4. Le Feydeau du XXIème siècle

Il semble par ailleurs qu’une lecture d’enfance ait eu une influence considérable sur sa conception du théâtre ; c’est celle de Labiche (qu’il lut donc très tôt) : même lorsque Novarina se lance dans des rhétoriques, très sophistiquées, Labiche est là, son ombre plane comme le spectre d’un père spirituel. Chez Labiche (et chez Feydeau reprenant le flambeau de son illustre aîné), il n’y a presque pas de message et très peu de psychologie : c’est un théâtre de mots et non d’idées, ce que Novarina reprend à son compte. Il semblerait aussi que le théâtre de boulevard soit comme parodié dans L’Opérette imaginaire, à travers des apartés à répétitions et des formules cocasses telles que « Cristi, c’est un coriace ! » (p. 73).

En généralisant un peu, nous pourrions même ajouter ceci : lorsqu’il écrivait, Feydeau – un traversé lui-aussi – se mettait, dans la situation (idem pour Sacha Guitry) d’"avoir de l’esprit". Or, il nous semble que Novarina procède un peu autrement car il ne s’agit pas pour lui (au moins en partie) de fonctionner comme un auteur de boulevard (en polissant des aphorismes ou en traquant le mot qui fait mouche) mais bien plutôt de laisser complètement passer la parole qui vient, sans chercher à briller en mettant en avant son intelligence et son esprit – ces deux qualités explosent littéralement dans ses interviews, mais pas vraiment dans ses pièces : ce n’est ni le lieu ni le moment ni même la question. Dans un passage de Devant la parole (pp. 63-64), il va jusqu’à dire :

[…] il s’agit de recevoir non de transmettre, communiquer, exprimer. Devenir le capteur de tout : celui qui est ouvert, offert […]. Ne plus être homme, mais un qui émet sans cesse des figures humaines .

S’il y a sans doute tout de même un retravail relatif de ce qui est venu et qu’on a su accueillir (en fait, cela doit dépendre des moments/mouvements du texte), il ne s’agit pas de se conditionner et de se poser des questions quant à la réception future de ce que « cela qu’on ne peut pas dire » (Dieu ? La parole ?) a donné, offert. En somme (Novarina le dit très bien), c’est un travail d’accueil et non de séduction. C’est une manière nouvelle et paradoxale de penser au public car contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce dernier n’est jamais oublié : tout est donné, dirigé, pensé pour lui – mais pas dans le sens habituel. Quoi qu’il en soit, Novarina, par son humour, sa fantaisie et le vent de folie qu’il fait souffler sur ses pièces, est sans doute le Feydeau du XXIème siècle car l’hermétisme altruiste de ce rythmicien rabelaisien est aussi celui d’un créateur généreux nous proposant un comique tout à fait original.