3.5. « Faut que ça phrase !»

Quant à la cause du rire qui peut saisir le spectateur devant cette nouvelle parole comique, et à en croire Didier Plassard – qui, associant rythme et rire, s’en explique dans « La caverne des anthropoglyphes »113– il naîtrait de l’enchaînement rythmique de « phases de ressemblances et d’opposition, chacune de ces configurations créant à son tour l’événement ».

De notre côté, nous dirons que, sans ressembler forcément toujours à de subtiles suites de proverbes (ou d’épigrammes, de comptines, etc.) qui ne diraient pas leurs noms et malgré les difficultés qu’on peut rencontrer en entrant dans cette forêt de mots, les phrases novariniennes s’enchaînent en fait parfaitement et de façon très naturelle, la seule véritable exception étant bien sûr Pendant la matière qui (malgré une sorte de jeu d’échos dans le propos et surtout une présentation générale où les chiffres romains donnent, a priori, l’impression de remplacer des noms de personnages) n’est pas une pièce, et peut donc poser des problèmes de lecture à cause justement de ce manque théâtral de rythme – et pourtant, le metteur en scène Jean-Pierre Armand et l’acteur Jean-Yves Michaux ont prouvé que l’œuvre présentait tout de même une certaine théâtralité.114

Contrairement à ce que d’aucuns pensent, la fluidité n’est pas forcément une qualité en matière de littérature : Kerouac et Queneau sont fluides d’emblée mais cette facilité de lecture n’est qu’apparente et recèle en fait des trésors d’intelligence et d’humanité. Chez Céline, Joyce, Novarina ou Guyotat, il y a peut-être une forme de fluidité (liée à des rythmes tout à la fois proches et lointains) mais qui n’est pas donnée d’emblée : il y a, comme pour l’acteur, une clef à trouver, un coup à prendre, un truc, un pli, une habitude, etc. Bref, une communication doit s’établir – et ce n’est pas facile, chaque œuvre ayant sa propre vitesse de croisière. Plus concrètement, la rime proprement dite peut, comme on l’a vu, aider à la musicalité – cf. « au lieu d’avoir / la tête nulle part » (J.S., p. 171) – mais cela n’est pas obligatoire : quelque chose, tout à coup, se déploie devant nous et nous sommes comme emportés dans le tapis (à soi de ne pas opposer de résistance et de ne pas forcément essayer de comprendre ce qui se passe).

Notes
113.

Didier Plassard, « La caverne des anthropoglyphes », Europe, op. cit., p. 33.

114.

Nous faisons allusion à des représentations données à la Cave Poésie de Toulouse en 2006.