3.6. Une folie circulaire

Pour en parler comme d’un vin, en œnologue, nous dirons qu’il y a là de la ronde, de la valse, quelque chose qui tourne mais ce qui tourne nous concerne et nous entraîne : c’est comme une spirale infernale, qui n’en finit jamais, une sorte de style-toupie qui, à l’image d’un mobile, bouge-tourne certes mais sans changer radicalement de place et n’avance pas vraiment dans le sens d’une stricte linéarité. En somme, peut-être est-ce une sorte d’écriture-toupie, une littérature en forme de rosace, de cyclone et se livrant devant nous à sa propre « folie circulaire » (à l’image en cela du jeu d’acteur d’un certain Louis de Funès).

Un autre aspect important est l’impression de vie sans vie qui se dégage de cette écriture : la chose est très difficile à expliquer mais il semble que nous soyons en présence d’une vie qui grouille certes mais qui grouille d’une non-vie, d’un vide, d’une absence un peu comme si, criant « Mort à la mort ! », l’auteur était capable, dans le cadre d’un mystérieux processus baudelairien (cf. Une charogne, etc) relevant de l’alchimie, de « prendre de la mort pour en faire de la vie ». En fait, si l’auteur d’Ailleurs a pu écrire assez taoïstement « Je suis gong et ouate », on verrait bien celui de Je suis, en tant que passeur de parole, nous affirmer qu’il est en somme aussi vivant que mort ; de là vient l’impression que cet écrivain, n’est pas vraiment avec nous – d’où la force comique, liée à l’étrangeté(/autreté), de sa parlerie fantastique. Il est vrai que, comme le disait Céline dans les Entretiens avec le professeur Y (et c’est l’une des seules phrases en italiques de l’œuvre tout entière) « il faut être plus qu’un petit peu mort pour être vraiment rigolo ».

Dans son article de la revue Europe intitulé La pantalonnade de Novarina 115 , Pierre Jourde notera un autre paradoxe, à rapprocher de notre idée de mobile, celui d’un « allant n’allant nulle part » :

‘La litanie tend à se substituer au récit […]. L’air du sens, sans les paroles. Tout cela illisible, comme si, à la limite, dire ou lire n’avait plus de fonction : c’est le mouvement qui compte. ’
Notes
115.

Pierre Jourde, « La pantalonnade de Novarina », Europe, op. cit., p. 20.