A l’instar de Rabelais, Novarina ne s’interdit ni le haut ni le bas : son érudition aurait pu faire de lui un écrivain balourd et pataud comme on en connaît beaucoup qu’il ne serait pas charitable de nommer mais il n’en est rien car nous sommes au contraire en présence d’un artiste plein d’humour et de vraie fantaisie. Moins généralement, l’éventuel rapprochement à établir consiste surtout dans le traitement de certains thèmes ; ainsi, Marion Chénetier, évoquant La Lutte des morts, sera frappée par l’omniprésence de la sexualité (dont on sait qu’elle constitue un fond rhétorique privilégié chez Rabelais) mais, dit-elle, cette omniprésence « ne surprendra pas si l’on songe que l’auteur se propose d’«examiner à froid certaines parties de la langue, comme un corps » et qu’il convient avant tout de modifier le «"mouvement reproducteur" de ce corps »117; à l’en croire, texte et sexe auraient donc ici partie liée, encre et sperme ne faisant qu’un – juste après, elle précise cette idée :
‘ Le début de La Lutte des morts annonce le programme, associant le sperme noir à l’encre d’un qui écrit et s’effraie de ce qui sort sous la plume (ce dont témoignaient aussi les carnets) : « Et la hôm jétérra du noir-sperm et lé preûmier qui de son spexe verra saillir c’te noirr, prendra la peurr, et c’est moi. » Le texte nous convie par conséquent à une multitude d’accouplements divers, accompagnés de postures, de combinaisons et d’échanges tout aussi variés, mettant en scène des modalités littéralement inouies d’association de mots, de fusions lexicales, et d’enfantements verbaux, de parthénogenèses, de soudures et de croissances autogènes. ’En somme, toute notre première partie (et notamment en ce qui concerne le mot-valise, l’ajout de syllabes et l’agglutination) illustre à sa façon le propos de Marion Chénetier et il est certain que c’est bel et bien La Lutte des morts qui de toutes les pièces s’apparente le plus à une gigantesque partouse, Novarina se situant finalement un peu entre Rabelais (pour le côté comique et souvent enjoué) et le Guyotat de Tombeau, d’Eden, Eden, Eden ou de Prostitution pour le côté chaotique et tourmenté et la modernité du sous-texte politique. Signalons que l’importance du sexe et du corps se retrouve dans l’approche d’un Francis Cohen parlant, lui, de « pornologos », de « logos spermatique » et de la «"fonction vergique"du langue » dans un article tout à fait étonnant auquel nous renvoyons.118
Cela dit, cette relation intime sexe/texte pourra également concerner l’abord du thème proprement dit. Précisons que le rapport au corps était bien sûr très différent à l’époque de Rabelais et qu’en lisant ce dernier, nous sommes parfois choqués par des évocations qui, alors, ne choquaient pas ou alors beaucoup moins. Quoi qu’il en soit, on ne saurait parler de provocations à caractère grossièrement sexuel dans l’œuvre qui nous préoccupe car si Novarina nous fait rire, il n’est jamais racoleur.
Marion Chénetier, « Petit débat avec La Lutte des morts », Europe, op. cit., p. 137.
Francis Cohen, « Joussif », Scherzo, op. cit., pp. 45-46-47-48.