1.2.3. La notion de « roman théâtral »

La notion de théâtre revient souvent chez François Bon lorsqu’il évoque le Pantagruel et les trois autres Livres (puisqu’il fait quasiment l’impasse sur le Cinquième) et pourtant, ne l’oublions pas, la geste rabelaisienne se divise en romans : ce n’est pas vraiment paradoxal si l’on considère certaines scènes très dialoguées (Bon insistant notamment sur les rencontres fondatrices que fait le géant et sur la joute comique entre Humevesne et Baisecul) et l’esprit général de l’œuvre faite de mouvement et de tonicité.

A contrario, il semblerait qu’il y ait encore un lien avec le roman chez Novarina – mais alors un roman sans vraie linéarité qui aurait retrouvé le souffle rabelaisien et renoué avec le gros rire et une certaine idée de la polyphonie. On sait que Joyce (un autre adepte de la pluriloquie) et Melville introduisirent des éléments théâtraux dans leurs œuvres (on le sait moins mais dans un genre plus populaire, Zelazny fit de même, à la fin de Seigneur de lumière) en présentant parfois les choses exactement comme au théâtre (nous faisant allusion à la pagination de certains passages, dans Ulysse et Moby Dick) . A sa façon, Novarina reprend ce flambeau en introduisant du roman dans son théâtre, ne serait-ce que pour taquiner (in C.H.) les tenants purs et durs du genre.

Au fond, Novarina est aussi romancier que Joyce est dramaturge : les distinctions de ce type n’ont plus grand sens ici, les deux auteurs inventant presque de nouvelles catégories hybrides, mutantes et mouvantes – idem pour Guyotat (Prostitution, etc.), pour Cadiot « surfant » entre roman et poésie dans Retour définitif et durable de l’être aimé ou pour Jacques Roubaud proposant avec Graal-Théâtre un roman à caractère épique mais ne s’annonçant pas vraiment comme tel puisque présenté et paginé comme une pièce (quoique plus découpée et surtout beaucoup plus longue que la normale ; même La Chair de l’homme et Le Soulier de satin semblent courts à côté).

Cette indistinction plus ou moins pensée, voulue, consciente, serait donc comme une tendance nouvelle de la littérature contemporaine. Les formes courtes sont d’ailleurs également concernées (on pense aux textes de Sternberg, aux Microfictions de Jauffray, au grand cycle entamé par Quignard ou à certains recueils ultra-hétéroclites mais néanmoins très cohérents de Jean-Pierre Verheggen) par ces intéressantes mutations rendant caducs d’anciens clivages et laissant interdits certains structuralistes.

De même, on sait que le metteur en scène Jean-Pierre Armand part des recueils de notes et/ou d’aphorismes que sont Pendant la matière ou Lumières du corps pour proposer des pièces de théâtre : c’est un nouvel exemple significatif de porosité réalisée. Signalons encore le très beau travail de Louis Castel sur Lumières du corps et Devant la parole (dans cette dernière adaptation, le corps est omniprésent, l’acteur fonctionnant même par moments comme un véritable acrobate).