2. Repas et rhétorique : la « parlerie-mangerie »

2.1. « A table »

2.1.1. « La Vivante » : faim, désir et nourriture

Ici, le désir de vivre (d’hommer, de reproduire de l’homme) semble souvent associé à la « Vivante », c’est à dire à la faim comme dans les expressions françaises "se prendre la bouche" et "se bouffer le museau" voire, pour progresser dans le grossier, se livrer à des "soupes de langue" (c’est à dire s’embrasser goulûment) : « Il y a seize ans que je rêve depuis dix-sept ans de vous manger cette tête que je vous vois là » (J.S., p. 134).

Dès Le Discours aux animaux, le désir s’exprime comme une faim. En fait, cela se confond – ici de façon gaie et rimée : « si vous étiez en pain, nous vous mangerions bien » (p. 222). De quoi s’agit-il ? De faim ou de désir ? «Oral D’abord. » dirait le Sollers des Folies françaises – oral ou buccal et parfois bacchanal voire bucchanal du Midi, préciserait peut-être Jean-Pierre Verheggen. Mais Lacan ? Et Freud ? Et la psychanalyse ? Peu versés dans ces matières, ne nous prononçons pas et rapprochons plutôt l’approche novarinienne de celle d’un artiste, Dali, prédisant que « [la] beauté sera comestible ou ne sera pas ». Dans Dali, l’œuvre peint de Robert Descharnes et Gilles Néret (aux éditions Taschen), on lit d’ailleurs que chez le peintre catalan, « [le] délire culinaire […] se mêle […] de sensualité et d’érotisme » : cela peut aussi arriver dans le théâtre novarinien.

Quoi qu’il en soit des correspondances (ce n’est pas la seule) avec le fou du chocolat Lanvin, cette rhétorique double et couplée est omniprésente dans L’Opérette imaginaire, l’auteur retravaillant à sa manière l’expression "belle à croquer" (qui était déjà ambiguë) : renvoyons aux pages 127-128-129-130-131 déjà étudiées (in « Feu partout ! ») : « J’voudrais par gourmandise », etc.) et citons encore ceci, tiré de L’Origine rouge (p. 48) : « Ah, votre viande est considérablement salée ! Tu sens bon la caverne » où un désir de consommation (encore un mot ambigu : mariage consommé, etc.) s’exprime peut-être – de même, le « mordeur jaculier » (C.H., p. 115) semble manifester un désir double et trouble. A contrario (c’est encore une autre possibilité), on peut également avoir le désir d’être un plat : « je rêve que vous me mangez de vos dents » (C.H., p. 126), ce qui prendra un tour chrétien dans » Je t’offre le pain de ma chair, je suis ton hostie » (A.I., p. 172).