En tant qu’amateur de listes, il nous paraît logique que Novarina invente des menus, s’inscrivant là encore dans une tradition très ancienne, qu’on pourrait faire remonter à Pétrone et à son Satyricon (cf. « pois chiches cornus, figues d’Afrique, vulve de truie stérile, fretin de mer, huppe », etc.), la longue liste des interdits alimentaires de la Bible constituant une autre modalité de menu, celui-ci défendu – au même titre que la pomme qui fut fatale à "Evadam".
A la page 131 de Je suis, un menu est déclamé comme une annonce d’invités, les plats rappelant ici un cocasse Diablogue de Dubillard (cf. « le crabe et sa pince », « le yaourt et sa date-limite ») reproduit ci-après ; en fait, Rabelais, Topor, Dubillard, et Novarina (voire Gombrowicz, dans Le festin de la princesse Fritouille) évoquent la nourriture de la même façon, c’est à dire avec humour et excès.
Rabelais tout d’abord (honneur au maître) proposera dans le Quart livre le menu suivant : « Grasses souppes de prime, Cabirotades, Longes de veau rousty froides sinapisées de pouldre Zinziberine, Pastez d’assiette, Souppes de Levrier, Chous cabutz à la mouelle de bœuf, Salmiguondins, Olives colymbades, Andouilles capparassonnées de moutarde fine, Chappons roustiz avecques leur dégoutt, Butors, Foulques aux pourreaux, Corbeaux de Chappons, Flamans, Cignes, Neige de Creme, Myrobalans confictz, Confictures seiches et liquides »144. Et Novarina (voir J.S., p. 131 – et autres plats puisés ça et là), comme naturellement, prendra le relais : « Soupe de détresse, Paillasson d’ingrédients sauce velours/ sauce picarde, Estouffade de bouffe à la lourde, Mangeade de mangeade, Pensionnade, Huîtres sur litière (au nombre de huit), Ronde des assiettes seules, Chariot de saison et sa ronde de comparaisons, Différentes sortes de couacs, Panier du somnique rigolet, Crabe et sa pince, Ours, Poulet vif, Hachis du Beauvaisis, Sauce au galetas de poireaux, Yaourt et sa date limite, La suite ».
Ici, ne faisons pas de contre-sens : si, chez Rabelais, certaines façons de nommer peuvent surprendre et amuser – et si manger du cygne (par exemple) n’est guère courant de nos jours –, la plupart des plats proposés restent possibles, faisables ; ainsi donc, s’il y a sans doute invention relative, on ne saurait ici parler de néologie véritable – d’autant plus qu’il faudrait, dans certains cas, explorer la piste de la spécialité locale. Au reste, c’est surtout, la profusion extrême des plats qui sidère chez Rabelais – et, donc, l’impossibilité d’en venir un jour à bout (sauf, bien sûr quand on s’appelle Gargantua, Pantagruel et consorts).
Rabelais, Quart livre, op. cit., p. 515.