2.1.5. Mangerie sans monde et ripailles de néant

Matière ou néant : qu’importe, tout fait ventre pour le personnage novarinien ; tout est absorbé, incorporé, même le rien qui, paradoxalement, se mange aussi – idem pour la buée : « mangeons de la buée (R., p. 117). C’est que le « monde où nous sommes pris a été mis continuellement à manger » (CH., p. 131) et il sera donc dit d’Adam qu’il mange « la matière », « la lumière » et « la poussière » (C.H., p. 131) ; bref, L’Animal du temps est un omnivore qui s’ignore.

Ici, la poussière sera une métaphore privilégiée : « Mordre poussière, ça m’exaspère / C’est pas un déjeuner ». Dans Je suis (p. 108), on ira même chez « mange-poussière » (puis, plus roborativement, « chez manger-la-boulangère »). Aussi bien, on pourra « [donner] à manger du rien à sa main » (O.I., p. 27), métaphore évoquant un peu l’étrange "main bouchue" que l’on voit dans Le Sang d’un poète de Jean Cocteau. Dans Je suis (pp. 143-144), on aura cette révélation : « Puis je m’aperçus que le néant était du rien […] Alors je mangeai tout le néant ». On pourra donc se gorger de vide, se repaître de fumée et se livrer à des « Ripailles de néant » (O.I., p. 24), cas étrange de « mangerie sans monde » (C.H., p. 65), sans réel, sans matière, sans réalité.

Sans réalité ? Cela dépend du point de vue ; si ce monde à manger est vu comme d’essence, d’origine divine, alors le repas est possible, spirituellement parlant : Dieu est « un vide que l’homme doit manger » (T.P., p. 143).