2.1.6. Le « mystère de manger »

Ici, le mot mystère – « la nourriture qui est énigme » disait le Valery de Tel quel (in « Rhumbs ») – ce mystère est à mettre ici en relation avec l’idée de (s)cène et de représentation, le théâtre étant le lieu où « l’homme avoue à l’homme qu’il éprouve même appétit à vivre qu’à mourir » (C.H., p. 455). S’exprimerait donc aussi un désir de mort, une mort qu’on attend avec gourmandise, comme le plus mystérieux des plats. Au fond, le mystère de manger, c’est ce qui nous attend à la fin du repas.

S’il y a un « mystère de manger » qui, il y a peut-être aussi un mystère d’être mangé et de se voir « tué avec amour », révélation qui fit dire à Benjamin Péret » Le mystère mange notre beef-steak », autre manière de signifier que la lumière nuit et que le temps nous tue avec amour(/gourmandise).

Au fond, il y a mystère égal à manger et à parler même s’il convient d’établir d’importantes distinctions comme l’auteur s’y emploie aux pages 108-109 de La Chair de l’homme ; c’est en paroles et en esprit que s’opère le repas et qu’il opère le monde. Ce qui opère aussi, c’est le charme comique de toutes ces évocations, qui nous font voir la réalité quotidienne du repas comme une représentation théâtrale ; à leur(s) manière(s), des artistes aussi différents que Rabelais, Topor, Béroalde, Marco Ferreri, Dubillard, Dali, Pétrone, Bunuel, Greenaway, Chabrol ou Claude Sautet (qui, dans tous ses films, accordait beaucoup d’importance aux scènes de repas) en eurent également l’intuition mais c’est sans doute Novarina, le plus obsessionnel de tous, qui aura "poussé le bouchon" le plus loin.