2.2. Mangeurs et mangés

2.1.1. Yvon Vorace, Voracique et Jean-François Pitance

Onomastique et nourriture ont souvent partie liée : dans Le Discours aux animaux par exemple, on croisera « Jean Omnivore » (p. 131) et « Jean qui mâche » (p. 253). Dans Le Drame de la vie, outre « Jean l’Omnivore », le « Mangeur Adam » et l’«Homme Comestible », on aura « Le Trou Miam » (p. 10), « Lomnivore » (p. 208 et p. 209) et « Voracique » (p. 209) et dans La Chair de l’homme : « Yvon Vorace » (p. 192), le « nuiseur de plats » (p. 195), le « Mangeur Pluriel » (p. 341), le « Mangeur Seul » (p. 363), le « mangeur morceau » (p. 10), le « mangeur à la charrette » (p. 132), « La bouche ouverte » (p. 108), « Jean-François Pitance » (p. 245), « Jean de Louiviandre » (p. 191) et « Jean de Ouiouiviandre » (p. 191) – n’oublions pas « Jean le Rongiaque » (qui « prie l’espace » à la page 132 du Repas).

Quant au « mangeur spirituel » (C.H., p. 110), c’est une sorte d’oxymore et on recense encore des sortes de couverts vivants, « Sa cuillère et son couteau » (C.H., p. 79) étant des personnages à part entière et doués de parole tandis que « Jean Restaurant » (C.H., p. 145) fait sans doute partie de la tribu des « hommes-restaurants » (C.H., p. 146).

Dans Je suis (p. 12), il y aura un « Jean Manger » et un « Jean Mangedouze » réunissant les apôtres en un seul et même personnage qui mangerait comme douze. Quant à Jean Glouton (in V.Q.), peut-être préside-t-il la Cène. Autre apôtre, la Dame Autocéphale (O.I., p. 62) parle gaiement du Christ mais son message ne passe guère : « Arrière ! arrière : on ne mange pas d’ce pain-là », autre manière de jouer avec une rhétorique connue. Evoquons encore le « Mangeur Ouranique » (J.R., p. 10), le « Mangirier Olam » (A.I., p. 9) et les « Omnivores Polyscients » (A.I., p. 36).

On peut remarquer qu’en règle générale, les noms s’appliquent plus à des mangeurs qu’à des mangés : cela va de pair avec la volonté d’hommer (et donc de manger) qui anime la plupart des personnages : il faut peut-être y voir le signe qu’on ne se laisse pas croquer/crimer comme cela. Pour en parler en termes plus clairement sadiens, disons que le je novarinien ressemble plus à Juliette qu’à Justine ce qui ne l’empêche pas de se faire crimer(/manger) tout de même – et c’est ainsi que « L’Ambride de Panture crime Lomnivore » (D.V., p. 209). Cela dit (la parenthèse nous paraît utile), le crimage (in D.V. notamment) présente ici un côté positif puisqu’il débouche presque toujours sur la naissance d’un tiers ; c’est comme une opération mathématique : « X crime Y, naissance de Z », dispositif assez fixe que nous aurions pu évoquer précédemment.