3.3.2. Liste et sacré : les généalogies bibliques

Liste, sacré et ressassement ont en effet, nous semble-t-il, partie liée chez Novarina ; c’est bien sûr le cas dans la Bible mais également dans le Coran et la plupart des textes officiels du canon bouddhique. Faut-il pour cela estimer que ses pièces sont des textes sacrés ? Nous ne nous prononcerons pas (mais on pourra trouver notre silence éloquent). Plus sérieusement (?), il y a chez Rabelais prise en compte du sacré mais aussi mise en relation de ce sacré avec le rire (et un rire qui n’est pas systématiquement parodique) : de ce point de vue, théocomique (si l’on veut), la filiation est évidente et Novarina se présente même (c’est le cas de le dire) comme une sorte de fils spirituel.

Après Borgès (« Poe, qui engendra Baudelaire, qui engendra Mallarmé, qui engendra Valéry, qui engendra Edmond Teste »), il parodiera les généalogies de la Bible, notamment dans La Scène (pp. 18-19-20) :

‘Les Psaumistes du Repas de Terre engendrent les Sabriers Gendre et Ut, les Sabriers Urde et Urcet engendre les Sapiants de Nurcie et Potrique.  ’

Progressivement, on passe à des noms comportant beaucoup de V (avec aussi des indications de lieu) puis à des noms comportant beaucoup de M (cela correspond peut-être à des époques différentes, comme pour l’histoire de la Chine). On reconnaît le dispositif biblique mais la différence est que certains noms sont particulièrement drôles et farfelus : « Madame de Couic », « Madame de Villefroide », « Madame Désordre », « Monsieur Labourieux », « Monsieur Tiroir », etc. Dans certaines listes du Drame de la vie, le verbe « engendrer » semble paradoxalement remplacé par « crimer », ce qui, là encore, est possiblement parodique. Cette présence du sacré, Céline Hersant y est sensible qui nous explique :

Les figures du cercle, les litanies, les répétitions : chez Novarina, la parole tient beaucoup de l’appel, de l’invocation même, en ce sens qu’elle devient une parole rituelle et une figure poétique du temps […] La répétition est à la fois prière et conjuration puisque, d’un même tenant, dans l’acte de nommer, elle convoque le monde et le fait disparaître aussitôt ; elle est tout ensemble litanie et incantation. 167  

Dans un autre article, François Dominique va jusqu’à présenter le dramaturge comme « un prophète antique, perclus de litanies, dont le cerveau fantastique dresse des inventaires dignes des mormons, cherche en lui-même la matrice invisible de toutes les listes, de toutes les encyclopédies.».168 ; à la page suivante, il ajoute que « [le] spectateur-lecteur est convoqué au paradis parlé, par imprécations, litanies et ressassement magique ».

Notes
167.

Céline Hersant, « Je cherche la quadrature du langage », La voix de Valère Novarina, op. cit., p. 32.

168.

François Dominique, « Le paradis parlé », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 98.