II. Figures de style ou figures de cirque

1. Un cirque de la cruauté ?

1.1. Une exigence impitoyable

Il y a chez Rabelais (mais aussi chez Arrabal, Ghelderode et Fellini) toute une esthétique du défilé qu’on pourrait rapprocher d’un dispositif circassien, surtout au moment de la parade finale. Cela dit, l’idée de cirque peut aussi renvoyer, ne l’oublions pas, au contexte des jeux de l’antiquité voire à l’actuelle tauromachie172. Sans parler d’Artaud qui, pour évoquer le théâtre qu’il appelait de ses vœux, ne donnait pas forcément au mot de cruauté son sens habituel (cruel équivalant chez lui à précis, effilé, implacable de précision et de pertinence), il y a en effet comme une dimension de "cirque de la cruauté" chez Novarina, qu’il faudrait de ce point de vue rapprocher d’auteurs comme Arrabal ou Edward Bond.

Cette dimension, il l’évoque peut-être dans Pendant la matière : « Le théâtre est un enclos ou nous venons voir l’acteur jeté en scène, par lui-même et de force » ; s’il semble ici assimilé à un martyr chrétien qui choisit d’affronter le lion , l’acteur novarinien peut surtout être comparé à un artiste de cirque dans l’acception la plus actuelle de ce terme. C’est qu’il doit être plus que très professionnel (précis, consciencieux, etc.) s’il ne veut pas rater son numéro. Quant à sa mémoire, elle ne doit pas être excellente : elle doit être prodigieuse ; en loyal Monsieur Loyal, Novarina, dans Scherzo, félicite d’ailleurs Dominique Pinon qui « est l’un des rares humains à pouvoir énoncer par cœur le ‘théorème de caractérisation de l’espérance conditionnelle comme solution d’un problème de minimisation dans le cas densité-densité’ »173 – un tour (de force) effectivement très difficile à réaliser.

Notes
172.

Dimension qui se retrouva d’ailleurs dans l’adaptation de Lumières du corps que proposa le metteur en scène Jean-Pierre Armand (la première ayant eu lieu en 2008 à la Cave Poésie de Toulouse).

173.

Valère Novarina, « Quadrature », Scherzo, op. cit., p. 16.