1.3. Liste et piste : présentation des prestations

Le mot de numéro est d’ailleurs volontiers utilisé par l’auteur lui-même comme le constate Etienne Rabaté :

Novarina parle […] de « numéros », qui produisent immédiatement les expressions  numéros de cirque, ou de music hall, et donc l’effet, ou l’illusion, d’une présence scénique carnavalesque. 175

Allons plus loin en affirmant que toutes les pièces de Novarina se présentent plus ou moins comme des spectacles de cirque. Ainsi, la très longue liste de noms souvent donnée au début correspond à ceux des artistes qui vont devant nous effectuer leur numéro : c’est un peu l’équivalent d’une affiche comme celle, puisée dans un roman de Jorge Amado, Bahia de tous les saints (affiche à rapprocher d’une annonce faite par haut-parleur dans les rues d’une ville) et qui nous promet de voir « le paillasse Bouboulle, le singe ivrogne, l’ours boxeur, le lion africain, la célèbre trapéziste Fifi, l’homme serpent, Joujou et son cheval, l’homme qui mange du feu, le grand équilibriste Robert, le géant noir Baldo et l’incomparable Rosenda Rosenda » – redoublement très novarinien. Ici, il faudrait donc rapprocher le nom des attractions proposées des listes qui font le début de certaines pièces. Au fond, c’est de la même chose qu’il s’agit : on va devant nous faire son sacrifice comique (expression ne s’appliquant pas aux seuls clowns).

Le Jardin de reconnaissance par exemple commence par une liste de noms tous plus clownesques les uns que les autres (cf. « Thiozule et Rulite, Plumace et Matagrossier, Tube et Limon, Vésule et Portion ») et cela est encore plus frappant au début du Drame de la vie (avec des noms comme Sapolin, L’Homme de Bombe, Sapoléon, Papus Lochon, le Septomane, Jean L’Enclumeur, Jean Bocardi, le Porteur Génitien, Basculet, l’Homme de Bozon, Glady’s Minor, Dalto, Craton, Madame Sperme, Landron, Acton, Jardon, Ontru).

Notons qu’Amado n’est bien sûr pas le seul auteur à avoir dans son œuvre évoqué le cirque, Novarina passant également après Ramuz, Marcel Aymé, Céline, Michaux, Tardieu, Genet, Trenet mais aussi Matheson, Sturgeon et San Antonio (il existe même un livre consacré à des écrits de cirque dans la collection "Bouquins" : y figure notamment un ouvrage d’Edmond Goncourt mais aussi des œuvres d’auteurs moins connus comme Jules Claretie, Rodolphe Darzen, Gustave Kahn, Félicien Champsaur et Gustave Coquiot). Certains de ces écrivains (en particulier Frédéric Dard, auteur « clounique » et obsessionnel) ont d’ailleurs un fonctionnement tout à fait circassien en ce qu’ils retravaillent toujours les mêmes figures – et c’est aussi le cas de Valère Novarina.

Autre correspondance : on meurt beaucoup chez Novarina (dans Le Drame de la vie, notamment) mais il semblerait qu’au cirque, cela arrive parfois aussi aux dompteurs et autres trapézistes officiant sans filet, sans compter la réception éventuellement problématique de l’homme-canon. Mais nous allons vérifier tout ceci en entrant sous le chapiteau du fabuleux Cirque Novarina…

Notes
175.

Etienne Rabaté, « Le nombre vain de Valère Novarina », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 53.