Novarina met en pratique ce qu’il dit dans la revue Mouvement 176 et la rapidité d’exécution sera donc un point commun avec l’univers circassien. Autre point commun : le dispositif général des pièces, qui est finalement le même que dans les Impressions d’Afrique de Raymond Roussel, à la différence près (mais elle est énorme) que les numéros du « Cirque des Excentriques » sont expliqués, disséqués, déconstruits vers la fin du roman tandis que la magie reste entière à la fin des pièces de Novarina.
Dans L’Envers de l’esprit (pp. 64-65), c’est le côté hétérogène du cirque qui est mis en avant, cirque où « chacun des numéros qui se succèdent apporte son espace, installe un autre temps » : » sous le chapiteau », il y a « un découpage du temps, une rythmique de l’espace […] » et « [le] spectateur immobile change continûment de point de vue ».
Par ailleurs, n’oublions jamais que le cirque en général s’accompagne presque toujours de musique. Or, un peu à l’image de « l’orchestre à porcs » qui « entonne Pocardy » (in L.M.), nous sommes en présence d’un orchestre pratiquant l’idiosynchrasie chère à Barthes en ce que « se [refusant] aux airs connus comme aux rythmes attendus » : tel est l’avis de Marion Chénetier177.
Quant à la mise en avant de l’accordéon, elle est "raccord" avec un contexte nous évoquant le cirque, art populaire par excellence. Signalons que cette dimension rythmique et musicale sera également évoquée par Marie-José Mondzain, parlant d’une « [parole] qui explose en mots, cymbales numériques, dans un tempo de cirque où se joue la Passion selon saint Mathieu » pour tenter d’expliquer ce qui est à l’œuvre sur cette scène-là178. Pour les numéros qui nous sont donnés à voir, beaucoup ont partie liée avec la magie, genre relevant aussi du music-hall et du cabaret – et parfois même du Grand Guignol comme avec, dans L’Origine rouge (p. 131), l’évocation morbide du numéro de la femme sciée dont la tête et les pieds parlent. Ici, le rouge du nez est ambigu : « Oh regarde comme le rouge est bicolore ! Arrête de hocher du nez » (O.I.,
p. 55).
A l’origine, le cirque Barnum, il faut le rappeler, procède d’un musée des curiosités ; or, c’est aussi un peu le cas du cirque Novarina... A la façon d’un aboyeur de cirque – et l’on pourrait ici imaginer un fond sonore avec roulements de tambour –, un personnage mystérieux, ou plutôt une figure récurrente (un masque ? une entité ?) semble nous prévenir : « Vous allez voir maintenant comment l’homme sort mort » (D.V., p. 213). Un autre magicien possède un don particulier : « il voit dans les urnes » (D.V., p. 74). Un autre semble avoir un peu les mêmes pouvoirs que l’étonnant Spiderman : « Deux jets de spermes lui sortent des poignets » (L.M., p. 349). Un nouvel illusionniste semble rater son numéro : « Je n’arrive pas, par une décision de moi-même, à faire bouger les membres d’autrui » (D.V., p. 82). Plus liée à l’univers du cabaret, la ventriloquie est représentée dans Je
suis : « je parlai de la bouche close »
(p. 18), etc., etc.
Certes, il arrive (en fait, ce n’est pas rare) que l’on rate des tours mais au fond, peu importe : Le spectacle continue ! Et cette exclamation traditionnelle est peut-être la phrase-clef du cirque Novarina : rien ne doit jamais s’arrêter ; on doit, par l’enchaînement des numéros, donner l’impression d’un fou tourbillon, d’une sarabande endiablée.
Valère Novarina, « La combustion des mots et le sacrifice de l’acteur », Mouvement, op. cit., p. 24.
Marion Chénetier, « Petit débat avec La Lutte des morts », Europe, op. cit., p. 142.
Marie-José Mondzain, « "Mort à la mort !" », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 320.