2.1.2. Les arrivaux balades de la piste

Les tours défilent donc à une vitesse inouïe (surtout dans Le Drame de la vie) mais notons que le cirque en question a souvent à voir avec la parole ; c’est ainsi que des jongleurs entrent en piste mais « [les] spermes qu’ils se lancent sont des paroles » (L.M., p. 482). Dans cet étrange cirque, l’on ne recense pas d’homme-canon, mais un certain Mac Norton nous sera présenté comme l’homme-aquarium (L. M., p. 465), être plus fragile capable (du moins : on peut le supposer) d’accueillir des poissons à l’intérieur de son corps. Dans La Chair de l’homme, c’est une « femme-serpent » que l’on croise (p. 204).

Ressemblant à Jésus, un étrange dompteur se fait fort de commander à un pain comme si c’était un animal de cirque (C.H., p. 156) ; ici, c’est à l’imagination du spectateur/lecteur que s’adresse Novarina : à partir de la vision proposée, à nous de créer, d’inventer une histoire – d’imaginer par exemple un dompteur blond et mal rasé faisant passer à travers un cerceau des pains mobiles et sautillants comme des otaries. Le Christ, que Novarina compare ailleurs au pélican (rapprochement en fait assez classique et analysée notamment par Borgès dans son Manuel de zoologie fantastique), pourrait même d’ailleurs être considéré comme un funambule entre Dieu et les hommes ; cela rappelle aussi l’idée, évoquée par Daniel Znyk dans une interview qu’il accorda à Mouvement d’un « sentiment de justesse » qui autorise une certaine possibilité de progression voire d’avancée sur le fil du rasoir pour les acteurs novariniens.179

Un autre tour (et un autre animal) sera évoqué par Olivier Dubouclez dans son livre: dans La Scène en effet, Dominique Pinon « saute par le cadre d’une fenêtre comme un lion à travers un cercle enflammé ». « Ces instantanés de chapiteau sont nombreux » constate le critique qui, juste après, évoque l’«étoilement des évènements et des attractions qui est propre au cirque » puis, il a ce développement : « L’acrobatie est une cristallisation du mouvement, action humaine abrégée, réalisation éphémère qui, une fois accomplie, disparaît immédiatement pour qu’une autre lui succède ».180

Dans Le Babil des classes dangereuses, le numéro de la résurrection d’ « autrui-le-mort » sera réalisé par Monsieur Hoquet et présenté par l’aboyeur Mugeon :

‘Monsieur Hoquet, toute la ménagerie attend (ces culs sont morts apparemment), […] Monsieur Hoquet, donnez-leur chaud ! D’ici Monsieur Hoquet va faire du corps sortir leur voix d’en bas d’la terre.  ’

Quant aux otaries, si le Protée de Claudel s’en fait des amies privilégiées – notamment celle qu’il nomme « Otary’s » (ce qui ressemble à l’Androlys  novarinien et peut évoquer le nom de quelque famille circassienne : frères funambules ou autres) – les otaries sont par excellence des animaux de cirque et on pourrait même en voir une (nous faisons allusion au coin droit du bas de ce tableau) jouant avec un ballon, dans une peinture de l’auteur que l’on peut retrouver dans le dossier central de Valère Novarina. Théâtres du verbe (op. cit., p. 192 et suite). Dans le petit livret fourni avec le D.V.D. de La Scène (à la p. 3), c’est plutôt un hibou que l’on voit, un hibou faisant du trampoline (à moins qu’il ne s’agisse d’un filet de sécurité), ceci sous les yeux de deux siamois longilignes qui sont sans doute des acrobates.

Notes
179.

Daniel Znyk, « Habiter la partition : rencontre avec les acteurs de L’Origine rouge », Mouvement, op. cit., p. 30.

180.

Olivier Dubouclez, Valère Novarina. La physique du drame, op. cit. , p. 25.