2.1.3. Le saut dans des cerceaux carrés

Dans La Scène (p. 116), on s’adresse comiquement à des mots auxquels on parle comme à des animaux de cirque refusant parfois de faire leur numéro (idem pour les pensées) et de sauter dans le cerceau (le vide du cerceau pouvant être celui du cerveau ou celui d’un tableau, d’un cadre carré sans peinture au milieu). Dans L’Acte inconnu, on retrouve des cerceaux : à la page 126, avec la mère-serrure (« vous êtes passée au travers d’elle ») et à la page 48 : « L’homme est la seule bête de naissance capable d’en imiter une autre – et de passer au travers », ce qui pourrait novariniennement se résumer par "L’homme est un cerceau pour l’homme" : il faut passer par autrui pour se nourrir de lui au propre comme au figuré. A la page 146, le cerceau se fait mystique : c’est Dieu. On comprend que les quatre coins du cerceau font écho au petit cadre en bois qu’on voit parfois sur scène ou à la vaste fenêtre sans verre que Dominique Pinon traverse en dansant. Sauter dans ce cerceau, c’est sauter dans l’amour – d’ailleurs, il nous est précisé dans L’Acte inconnu : « Le vrai amour, le pur amour n’a lieu que dans le vide : il est élan, déprise, saut périlleux » (p. 146).

Chez Novarina (nouvel oxymore), le cerceau est donc plus carré que rond : aux quatre coins, il y a des lettres : D, I, E, U ou V, I, D, E (voire L, O, V, E pour les anglicistes et A, M, O, R pour les latinistes et les hispanisants). Très logiquement, s’il doit évoquer la face d’un dé (renvoyons ici au C.D. du Vrai sang), Novarina choisit bien sûr d’évoquer le 5, le point du milieu étant peut-être dans son esprit l’Adam de l’amour, sautant dans Dieu, ce cerceau carré. Aux coins du cerceau, les quatre lettres se changent parfois en devenant celles qui forment le mot MORT – dans ce cas, le cercueil se fait "cerceuil", le grand saut dans l’au-delà et/ou ad patres constituant un autre type de numéro.

Dans L’Envers de l’esprit enfin (peut-être le plus chrétien de tous ses livres), on pourra estimer que la métaphore du cerceau se retrouve un peu dans la phrase « Nous sommes des animaux invités à passer au travers du langage » (p. 98).