2.2.3. Le Numéro de l’Amour et de la Mort

De même, il nous faudrait, aux pages 433-434-435-436-437 de La Lutte des morts, signaler le numéro des Plany’s (également évoqué par Marion Chénetier dans un de ses articles) : « Ils entrent et exécutent le numéro de « double barbare » en joquier (c’est une sorte de périlleux avec exécution des pieds dans la chaise) » puis « Plany’s sort deux mannequins, mâle et fémelon » et commente : « Les corps terrestres, de part et d’autre du vide, girent leur volton, moulinent des bras à coups troudants, lament l’autre à chaque part, vident le trou » (tandis que « Ruissette offre sa gravitation solitaire en spectacle. ») ; mais il semblerait que « [ces] corps qui se battent savent pas ce qu’ils bouchent » – les « morts qui se cognent [pouvant] pas se toucher » (car seule l’expérience « saisit le vide du cul »).

Un accouplement de morts aura cependant lieu juste après mais on les sépare puis ils se raccouplent : « Pinons » s’encourage un des « fauteurs » qui est « tout réouge » et « s’arc-boute à la rampe » – « centrouiller le douquet », « soudoyer les furigots » et « passer la rampe dans le revers » correspondant peut-être à des caresses et/ou à des positions sexuelles.

De son côté, Ruissette, rêveuse, se trouble en évoquant l’enfance d’un certain « dorcet-philippin » qui « [s’mordait] le ponse […] jusqu’à ce qu’il fasse son cerveau-mirliton » (« C’est une vraie horreur comme exemple de la vie passagère ») ; ce coup de mou lui est fatal car, comme dans un poème de Michaux, elle se fait successivement « paralyser les phinctons », « ramer l’os à Pacques » et « percer la cahorte », après quoi elle est « chapotée par les véros » pour finalement « [sortir] en trombe ». Puis, les Plany’s « défont les mannequins » et semblent procéder (cf. « Uzon et la Cancératice apportent le sabrien et les signaux à Sauge et Rectant qui les restituent à l’ugin du vénéral Lambe ».) à une comico-morbide redistribution des cadavres ayant servi à ce que l’on pourrait nommer le Numéro de l’Amour et de la Mort.

Au fond, La Lutte des morts se situe entre macabrerie et clownerie ; c’est dit clairement à la page 374. Lorsqu’on meurt, cela fait numéro (d’ailleurs, ici : tout fait numéro) ; dans L’Atelier volant, on est même prévenu : « Attention : je vais commencer à mourir » (p. 152). De même, dans Le Drame de la vie (pièce au titre souvent paradoxal), la mort de Buffet est présenté comme un numéro par l’intéressé lui-même : « Je salue tout le monde bien bas. J’entre en grande décomposition » (p. 32). Dans L’Origine rouge, mort et voltige sont à nouveau évoqués : « Ton père qu’était funambule / Un 8 du mois d’néandron / Chuta blanc d’son escadron » (p. 127). Mais certains acrobates se relèvent : « Lorsque Christ se releva / Du linceul du Golgotha / Hors de mort, il s’exalta » (p. 129) ; en fait, il s’agit peut-être (cf. « trois parents », « feu d’artifice/Jaillissant des orifices », « sacrifice comique », « pour en finir », « pour resurgir ») d’une seule et même personne mourant-ressuscitant.

Sous ce chapiteau s’affrontent en fait Eros et Thanatos. D’ailleurs, dans le « Cirque d’action », même le coït est un numéro (L.M., p. 473). Parfois, tout se confond un peu et c’est ainsi que la « Scène de Séparation » (D.V., p. 87) s’effectue dans un contexte festif – de même, lorsqu’il y a assomption (un peu comme dans le bouddhisme), il semble que ce soit vers le néant.

Au fond, s’il y a un équilibre à garder, c’est celui-là : faire en sorte de rester en vie alors qu’autour de soi, tout crie mort comme un néon qui clignote. Comment ne pas tomber dans le vide tout en y tombant ? C’est peut-être ce que nous enseigne Valère Novarina, auteur capable (comme Beckett) de raconter la chute.