2.6. Thaumaturgie et music-hall 

2.6.1. Echec et gag : entre Merlin et Garcimore

La thaumaturgie est aussi très présente : jouant peut-être un peu avec son nom de famille (ce qui ne serait pas étonnant car l’homme semble avoir de l’humour), Claude Merlin présente ainsi, dans sa « Lettre » déjà évoquée la "magie Novarina" :

Lecteur, je te fais apparaître La Trinité ! Et je te montre la Crucifixion ! Public, je vous présente l’Espace et le Temps, les fameux duettistes de la plus haute voltige. Après tout, la Création pourrait bien être d’essence foraine (cf. Fourré), et toi un écrivain « circassien » (j’en suis même certain). Cela se voit à ta façon de sauter de phrase en phrase, par bonds, en sauts périlleux doubles ou triples, et de te récupérer alors qu’on se demande si tu vas même retomber. Cela se voit aussi à un certain tour de pensée antipodiste, qui est tien. Et à tes entrées de clown blanc, poussant devant toi ton partenaire, un certain Louis de Funès, pitre immense et penseur profond ce qui, bien sûr, va ensemble 185 .

Un temps incarnés en France par la figure sympathique, populaire et clownesque d’un Garcimore, magie et comique (et dans le cas d’icelui : ratages systématiques visant à provoquer l’hilarité) sont les éléments importants d’un cirque se confondant parfois avec le music-hall. L’échec est donc présent : « On amène une femme malheureusement sciée en deux. Miraculeusement la tête et les pieds parleront » (O.R., p. 133) mais parfois cela fonctionne : « […] il s’appuie sur le mort, il se penche sur lui et pose sa tête sur son ventre, cherche un moment dedans, puis en retire une oeuf » (D.V., p. 47) même si certains tours prennent un tour monstrueux : « Un porc sort par la bouche et va du dedans vers le dehors » (O.I., p. 59).

Dans Je suis par exemple (pp. 113 -114), une scène pourra nous rappeler un fameux numéro de duettistes mettant en scène un fakir imposteur et son ironique assistant : « – Pouvez-vous faire semblant d’être ailleurs qu’ici ? / – Je le peux. » Reconnaissons que nous ne sommes pas loin (serait-ce donc un hommage à Pierre Dac et Francis Blanche ?) du fameux « – Vous pouvez lé faire ? (silence) – Oui ! » du sketch évoqué. Dans « La Pantalonnade de Novarina », Pierre Jourde va jusqu’à faire du dramaturge le « fils naturel de Pierre Dac ».186

Indiquons-le à notre tour dans le cadre d’une parenthèse : ce type de scène où se côtoient farce et magie (ubiquiste, ici) est en fait un classique de la littérature comique : on se souvient du Sosthène de Céline (in Guignol’s Band) et du fakir de Queneau dans Pierrot mon ami (dans Le Chiendent, on recense même un autre magicien) voire d’une scène mémorable de La métamorphose des cloportes d’Alphonse Boudard.

Cette veine comique, magique et poétique était à l’œuvre dès La Lutte des morts : on parlera notamment d’une « baguette intelligente » à la page 358. Dans Le Drame de la vie, on rafraîchira « Abracadabra » et « Opus Pocus ! » en lançant des sorts encore plus incompréhensibles que ceux du Docteur Strange (cf. nom d’un personnage de comics) : « Urdumul ! Larmalaïdo ! Satanaleppe ! Dardalam ! Atanaleppe ! » (p. 29) ou « Pornoléum ! Satanaèdre ! Nartalédon ! » (p. 174).

Dans La Chair de l’homme , on a encore des tours de magie comme celui qui consiste à manger un caillou pour finalement « le [faire] naître à nouveau de sa bouche » – normalement, cela se pratique plutôt avec des balles de ping-pong (mais, novariniennement parlant, le celluloïd convenait moins bien que la « minérale cailloucité du caillou »). Quant à l’échec, il n’est pas toujours sûr – ce tour-là par exemple nous paraît relativement faisable : «’ttention garçon ! un mot encore, juste une seule phrase et tout le présent passe dans le futur » (D.A., p. 261).

Notes
185.

Claude Merlin, « Lettre à Valère Novarina dans son Alpe », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 249.

186.

Pierre Jourde, « La pantalonnade de Novarina », Europe, op. cit., p. 16.