2.6.2. Les métamorphoses de Fregoli

Proche de la magie, le transformisme sera représenté dans L’Opérette imaginaire à travers l’évocation de Fregoli (p. 73) et de « Judas Fregoli » (p. 78) et a fortiori dans La Scène où Fregoli est un personnage à part entière. Toujours dans La Scène, à la page 99, La Sibylle est comme une magicienne commentant un numéro de passe-passe fakiresque et liturgique :

‘Voici les cendres de mon père, les cendres de ma mère : je les mélange, et je n’apparais point. Je les secoue : me voici moi. Voici les cendres de mon fils arrière et les cendres de l’arrière-petit fils de mon prochain grand-père. Je les mélange en une immense boîte à joies et je les verse à la poubelle dans la nuit. ’

Dans L’Acte inconnu (p. 159 et suite), l’assistante ne s’appelle pas Irma mais Andréa et le tour en question évoque autant la Bible que la circassité : si l’eau se change en sang, c’est qu’il y avait au fond de l’éprouvette une sorte de sirop – quant au phrasé, il est celui d’un magicien (« Voici deux récipients […] j’y verse […] du sang ») mais la réussite n’est pas au rendez-vous : « toute l’eau est par terre » ; encore une fois : échec comique donc – on note cependant (p. 28) le cas d’un tour morbide réussi : « Les Obodryphes réussissent le coupage de l’homme par l’homme ».

Autres expériences de magie amusante (si l’on veut) : « Olivier, donne ta chair au vide : allez jette-là ! » (A.I., p. 159) et surtout « Acteur, quelqu’un, quidam, chanteur en catastrophe, individu : disparais ! » (A.I., p. 159).

Ne l’oublions jamais : le registre choisi par Novarina, s’il a (comme parfois la magie) à voir avec l’invisible, l’indicible, l’impossible et la métaphysique, a aussi à voir avec l’humour, la farce, le burlesque et la clownerie. Osons même l’idée (que nous développerons plus tard) que c’est justement parce qu’il est, comme son camarade Clément Rosset, capable de prendre le rire au sérieux qu’il ouvre de nouvelles portes – entrebâillées par Rabelais, Voltaire, Swift et Jarry (voire Pascal, Nietzsche) – et de nouveaux possibles pour la philosophie telle qu’on la conçoit d’ordinaire.

Précisons enfin que le concept, cher à l’auteur de clownerie et de sainteté du clown peut aussi, de son point de vue, s’appliquer à certains acteurs de théâtre et de cinéma comme bien sûr Louis de Funès mais aussi Serrault, Tati, sans oublier toutes les grandes figures du cinéma muet ; certains de ces derniers (cf. Laurel et Hardy, Charlie Chaplin) sont – et ce peut-être même au niveau vestimentaire : on parlera notamment de « costumes burlesques » (p. 32) – sont en fait de véritables références, au même titre que le pantin inventé par Collodi : c’est en tout cas l’avis de Patricia Allio 187.

Notes
187.

Patricia Allio, « La Passion logoscopique », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p.120.