3.2. Cirque et sacré : la liturgie du cirque

Flanqués de Dante et de Virgile, on assiste aussi à des numéros de cirque dans La Divine Comédie ; la différence est que (même si l’idée de cercle est présente), les spectateurs se déplacent un peu comme dans le cadre d’une fête foraine (celle de Thonon ?), s’arrêtant à chaque étape dans le but de considérer avec intérêt des individus plus ou moins étranges, dont la réputation était parvenue à leurs oreilles : chacun dit sa chanson ; et on passe au suivant. Il y a de la vitesse, comme chez Novarina : on ne s’éternise pas. Arrivés au niveau du Purgatoire (cf. Chant IV), on croisera même une sorte de clown à la Kaurismaki : « Ses gestes paresseux et ses brèves paroles excitèrent quelque peu mes lèvres à rire ». Il s’agit bien sûr de Bellacqua - personnage repéré par Beckett (et dont il s’inspira manifestement pour Molloy, Murphy, etc.).

Dante et Virgile eux-même sont des sortes de duettistes ; toujours au bord de l’évanouissement, Dante est un hyper émotif (comparable à Pierre Richard ?) qu’il s’agit de rassurer en permanence tandis que Virgile(/Depardieu ?), au fond plein d’indulgence, est toujours là pour le soutenir et lui montrer le chemin. Vers la fin du spectacle, on pourrait même voir dans les reproches de Béatrice un véritable sketch à la saveur très inattendue voire amère pour le narrateur, l’aimée l’accueillant et le cueillant presque par un "Mais enfin, qu’est-ce que t’as fichu pendant tout ce temps ?", pour ne pas dire "C’est à cette heure-ci que tu rentres ?".

Dans ce paragraphe certes iconoclaste (La Divine Comédie étant objectivement un des plus grands textes de tous les temps) et en proposant une sorte d’interprétation à la Novarina (lorsqu’il décrypte le saint enseignement de Louis de Funès), nous aurons essayé d’illustrer l’idée qu’il suffisait d’un rien, d’un ready-made, d’un décalage infime – ici anachronismes et rapprochements inconcevables et en cela surréalistes (cf. parapluie/machine à coudre) – pour que le sacré bascule brusquement dans le burlesque et la comédie.

Dans un des titres choisis par l’auteur, L’Equilibre de la croix, œuvre reprenant par ailleurs des éléments de La Chair de l’homme (théo-liste, notamment), il y a comme une association entre cirque (cf. numéro de l’équilibriste) et sacré (crucifixion/assomption/résurrection) qui ramène le Christ à un circassien bien briefé effectuant son numéro devant les hommes. Cirque et sacré seront aussi réunis dans la « Chanson du Délivreur » (O.I., p. 132). Enfin, dans la liturgie classique et sans bien sûr comparer le prêtre à un Monsieur Loyal animant la messe, « Voici l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » est une formule relevant de la rhétorique de la présentation que nous allons étudier plus loin.

En somme, Novarina fait du Chagall en plus vite – les peintures de cirque de ce dernier (qui, comme par hasard, se servit du même pinceau pour illustrer l’Ancien Testament) présentant une sorte de rythme lent, doux, nostalgique et mélancolique tandis que l’auteur de Falstafe est plus du côté de Goya, de Rabelais et de Tex Avery – le démiurge créateur américain étant (il nous paraît très important de signaler ce détail car il est à notre avis tout à fait révélateur) un des modèles artistiques d’Alexis Gruss, grand homme de cirque s’il en fut.

Quoi qu’il en soit, dans Le Drame dans la langue française (in T.P., p. 40), l’auteur  s’autoconseille en lançant « Foutre dedans des entrées de cirque » : c’est un conseil qu’il continue à se donner – de fait, toutes ses pièces ont des caractéristiques circassiennes (entrée/sorties, gags clownesques, sauts, etc.).