3.3.2. Monsieur Loyal

Au fond, la Voix d’ombre est peut-être celle d’un Monsieur Loyal commentant les actions les plus étranges comme aux pages 25-26 du Jardin de reconnaissance : « Onomagre se livre à un exercice de détresse, le Cadavrier Pilonce s’enroule sur lui-même […] Jean Sacomanche voit que son corps se dédouble » – quant au Numéro de l’homme, il consiste à « [avoir] mal à [son] corps comme à de l’espace » (dixit le Bonhomme de Terre).

Devant une injonction circassienne comme « Entrez dans la réalité de la chose dite », on est au fond comme devant une pancarte qui serait comme placardée sur la porte d’entrée du réel. Ici, pas de mot-clef pour ouvrir cette porte ouvrant sur du vide. De la part de Monsieur Loyal (et si ce dernier était un dangereux tentateur ? un suppôt de Satan ?188), c’est comme une proposition séduisante, une invitation difficile à refuser : à soi de sauter dans le cerceau en ouvrant cette porte magique qui clignote comme un néon en nous encourageant  : « Entrez ! N’ayez pas peur ! ».

Moins subjectivement, Loyal fera retour aux pages 24-25 de La Scène : « Mesdames Messieurs, vous venez d’assister à une naissance (/à mon apparence) à l’insu de mon propre corps (/nom propre) ». Il intervient encore à la page 92 de L’Acte inconnu : « Mesdames et Messieurs, rien de grave : l’homme vient de se donner la mort, son animal survit ». Même dans des écrits a priori non théâtraux, Loyal/Novarina semble officier comme inconsciemment : « Entre un homme qui se dépouille des mots en parlant » (P. M., p. 30) ; puis il s’agira, comme pour un fakir de foire, « d’écouter le noir et de voir par les oreilles » (P.M., p. 73). Enfin vient le tour (cf. Devant la parole, p. 176) de « l’Homme-Toupie » : « Ici, l’acteur Louis de Funès se livre à la folie circulaire et tourne en spirale pour être délivré ». Quant à Novarina (« L’auteur ! L’auteur ! »), c’est l’Homme-Ocarina, Le Tuyau Humain, L’Instrument de la Parole. Quant à notre numéro personnel, il ne consiste pas à dire "regardez ce qu’il arrive à faire avec les mots !" mais "regardez comme il se laisse traverser par la parole !".

Notes
188.

Pour Christine Ramat, ce Monsieur Loyal peut aussi s’appeler Boucot – renvoyons à son ouvrage Valère Novarina. La comédie du verbe, op. cit., p. 75 et p. 135.