3.3.3. Attractions et féeries

La figure de Monsieur Loyal vantant les tours des artistes en présence se retrouve un peu, rhétoriquement parlant et en terme d’énergie et de vivacité, dans celle du forain présentant les attractions de son stand ; or, il y a de cela dans L’Atelier volant lorsque (p. 123) Madame Bouche lance notamment « Tout le monde à ses chances au zodiaque », « Le lot est cette poupée imitée de la vie » « A chaque second revient ce singe en peau synthétique […] Sauf s’il agrippe au passage ce porte-cigare aluminium, ce sphinx plaqué, cette toute puissante torche frontale » ou encore « Admirez l’ouvrage et le temps passé par l’artiste à réduire dans le verre ce modèle vivant d’escarpin ! ». A cette tombola, ajoutons l’évocation, page 110, d’une fête foraine, Novarina n’oubliant jamais complètement Thonon et la Loterie Pierrot.

De même, dans Le Babil des classes dangereuses, Chaoul semble un bonimenteur de foire s’adressant aux personnes présentes :

‘Salut aux pattes des bons chanteurs ! Ribot, Doret, Louis, Rétif ! Madame, le spectacle est populaire, attention à ton derrière. Mais le reste ne risque rien, ces humains sont pas des chiens. Cet animal est bien dressé, tu l’approches sans danger. Il est nourri et ne mord plus : au pire il te montre le cul.’

Comme souvent dans le théâtre novarinien, l’article est fait en rimes. Pourtant ici, de quoi s’agit-il ? Aucune idée ; mais le rythme général, l’élan, l’allant est bel et bien celui d’un Monsieur Loyal voulant donner l’envie aux badaud d’assister au spectacle de l’homme. Cela vaut aussi pour Rabelais dont l’œuvre, considère François Bon, est « celle d’un hurleur » et qui « s’ouvre par la mise en scène toujours de son bonimenteur sur les planches » : Novarina fonctionne lui-aussi un peu de la sorte – et c’est un nouveau point commun avec l’auteur du Pantagruel.

Dans ce Cirque des Impossibles, il y a donc du comique, de la farce et du gros rire mais cela n’exclut point beauté et féerie, le passage qui suit pouvant même nous faire songer à une mini-transposition circassienne de la fin de La Divine Comédie (C.H., p. 296) :

‘[…] entre Barbette qui exécute l’Hélice humaine tandis que, tout au sommet du chapiteau, les Alarion, les Antarès, les Alizés, les Cadona, les Cléran, les Palacy et les Oméga tournent autour d’elle les Cavaliers de l’espace, la Quadruple volée de la mort, le Pont du diable ou l’Echelle de Satan, la Nouvelle Course aux Trapèzes, Féeries périlleuses, le Jonglage Humain, la Taupe céleste, les Volées sataniques, Capotage de la mort, la Mouche humaine, le Nouveau Carrousel aérien. ’

A la fin de La Divine Comédie, il y a en effet des évocations semblables, en moins circassien sans doute mais tout de même : « Et dans ce milieu je vis plus de mille anges avec les ailes ouvertes, et tous différents d’éclat et d’attitude »189, cette dimension féerique se retrouvant dans les illustrations de Gustave Doré. Dans une interview, Novarina évoque clairement Dante (« La Divine comédie […] explore le pluriel, l’arc-en-ciel déployé de l’espace et du temps. C’est une écriture indélébile. Je la singe parfois »), déclarant juste après : « j’imite aussi le cirque – où un espace nouveau est apporté à chaque instant190.

Ce rapprochement improbable entre cirque et sacré fut également opéré par Fellini qui confie à Jean A. Gill que dans un rêve prémonitoire qu’il fit enfant, il fut visité par des clowns qui lui annoncèrent que sa vie serait une vie de spectacle – « C’était l’annonciation faite à Federico » commente le cinéaste 191(en tous cas, ce rapprochement clown/ange est tout à fait novarinien).

Notes
189.

Dante Alighieri, La Divine Comédie, Chant XXXI, Editions de Nesle, Paris, décembre 1979, p. 482.

190.

Valère Novarina, « Quadrature » (entretien) , Scherzo, op. cit., p. 16.

191.

Federico Fellini, Les Clowns, bonus du D.V.D. sorti chez M.K. 2.