III. D’une piste l’autre

1. Hardi les sports !

1.1. Foot et ping

Lorsqu’on parle de piste, il n’est pas forcément question de la piste aux étoiles ; il peut en effet s’agir de pistes cyclables, de pistes d’athlétisme, etc. Or, il semblerait que cette dimension sportive, importe autant que les deux aspects populaires, évoqués dans notre étude, de la marionnette et de la circassité, pour comprendre (?) le fonctionnement de la rhétorique novarinienne. Cette importance du sport chez Valère Novarina, aspect assez peu étudié jusqu’à présent, pourrait même faire l’objet d’une thèse à part entière tant le sujet nous paraît vaste.

Pour commencer, il semblerait que « Stade d’action » soit tout le contraire d’une périphrase anodine. Nous dirons que c’est le moyen pour l’auteur de désigner la vie, qui serait donc une sorte de sport, conception sportive différant un peu de celle de Céline pour qui elle s’apparentait plutôt à un « boulot bien atroce » et susceptible de « faire loucher » (sic). Pour la mort, il semble que « foot de glas » serve à la désigner, « foot de vide » (D.V., p. 296) désignant le néant, foot de glose et foot de glaise n’apparaissant pas.

Le football proprement dit est présent dans Le Drame de la vie (on parle d’un « Stade de Foot » à la page 147) mais avec une connotation de violence pouvant éventuellement évoquer les représentations qu’en fit Enki Bilal : « onze rouge, onze bleu s’anéantissent mutuellement. Après la mort, on fait sortir les corps » (p. 17). Ici, on ne parlera pas forcément d’équipes mais de tribus comme celle des « hommes qui jouent au ballon d’foot de glas » (D.V., p. 288). Ce sport là est comme un passage obligé, autant que la mort ; il faut y passer : « Homme de boyau, redresse-toi et participe au foot de glas » (D.V., p. 291). Quant au Stade d’Action si souvent évoqué dans Le Drame de la vie, il fait retour dans L’Acte inconnu (p. 47), à nouveau présenté comme un lieu sacré ou plutôt comme une urne funéraire géante où l’on balance de la « poudre de silence » correspondant sans doute aux cendres d’un disparu : « […] offrez-le au Stade d’Action ! ».

La nourriture semble, elle, consister en « épreuves de viande » (D.V., p. 250). Mais il y a d’autres sports dans ce stade d’action là, comme ce que l’on pourrait appeler la mangerie monstrueuse : « Le sport est de manger une tête de mort »(D.V., p. 15). Il y a aussi une sorte d’absurde course d’agrumes avec « l’excessive cendrée des citrons olympiens » (D.V., p. 177). Sur les courses en général, elles ont souvent quelque chose d’organique ; peut-être même se déroulent-elles dans le corps : « Le stade est envahi d’une course de piste de course de piste de vite […] Tous les coureurs sont en ligne, hommes, femmes, enfants » : ces coureurs, ce sont peut-être des « spermes », le « stade » : un corps de femme et le « vite », un vit.

Ajoutons que tout ce que dit Novarina sur le sol et les pieds est sans doute également valable pour les coureurs – gageons qu’Husain Bolt serait sûrement d’accord sur l’importance « d’avoir chaussé les souliers qu’il faut » (A.I., p. 151). D’ailleurs, chose révélatrice, il arrive que les acteurs-athlètes novariniens aient sur scène des tennis aux pieds. Quant à la « langue bambuque » (A.I. ; p. 126), elle nous évoque le nom d’un célèbre coureur.

Dans L’Atelier volant, il y a une « épreuve de tête et de rapidité » à la page 56 mais aussi, à la page 37, des « concours de curiosité » et des « championnats de devinettes ». Dans Le Drame de la vie, outre le « Trou Américain » de la page 245 (« Trou » remplaçant peut-être Foot), il y a le « championnat de Dénutrion » (p. 139), compétition à laquelle le « Champion de jeune » inventé par Franz Kafka pourrait participer. Pour la « Compétition de Trou Blond » (p. 135), elle fait pendant au « Trou Américain ». Dans La Lutte des morts, on notera une sorte d’apocope humoristique avec la « table du ping » (p. 387) et, dans L’Opérette imaginaire, le possible retravail de « ping-pong » en « Cling clong » (p. 65). Les arts martiaux seront, eux, évoqués furtivement dans L’Atelier volant : « Vous devriez essayer le karaté (Démonstration) C’est martial. Ça brise la volonté de l’adversaire ». Pêle-mêle, on croise encore la « Patineuse Musclée », (D.V., p. 281), Le « Lutteur Pantalin » (D.V., p. 220), « Pantaléo le Lutteur, lanceur Semnique » (D.V., p. 255) ; « Valère », lui s’essaye au plongeon, qui « s’ajuste au tremplin » à la page 249 du Drame de la vie.

Quant au corps arbitral, il est représenté par le partial « Arbitre de Victoire » (D.V., p. 195) mais aussi par les juges caricaturaux chargés de mesurer les distances obtenues en lancers divers (D.V., p. 266) ; autre personnage étrange : « ce mort » qui « nous chronomètre » (O.I., p. 140). Tel un arbitre mettant fin à un combat de boxe, L’Ambulancier du Drame de la vie (p. 244) déclare, lui, comme un Salomon du sport : « Aucun de vous n’est plus fort que l’autre : rentrez chez vous, cessez de lutter ». Pourtant, la plupart du temps, le sport novarinien n’est pas vraiment la parodie d’un sport déjà existant – dans Les Folies-Belgères, notons-le pour l’anecdote,Verheggen procédera autrement : outre le pénis de table, le volley-vous coucher avec moi et le polo à col roulé déjà évoqués ci-avant, il inventera l’obèse-ball, le judo traître, le ski c’est pas toi, c’est donc ton frère, le lancer du Bengale, le lancement de la campagne électorale, le baiser en hauteur et la descente d’organes en canoë-kayak. Rien de tout cela chez l’auteur du Drame de la vie qui fait surgir des sports nouveaux comme lapins d’un chapeau.