1.2. Actions comiques et sports inventés

Concernant le nouveau catalogue qui va suivre, précisons ceci : nous n’affirmons certes pas que nous sommes en présence de sports au sens habituel du terme : c’est juste notre façon de voir les choses, notre théorie en quelque sorte ; et nous allons expliquer ce qui nous fait porter ce regard sur les activités (ou plus novariniennement : « actions comiques ») en question.

Tout d’abord, ces sports non encore recensés ni homologués par les instances dirigeantes des Jeux Olympiques, pataphysiques enfin se caractérisent par une très grande violence ; ils pourront même avoir un côté barbare, agressif, guerrier, belliqueux, destructeur ; ainsi, le « sport de l’homme-cible », qui consiste en ceci : « On lui vise juste le pif, on tire dessus en espérant qu’on le fera tomber. » (D.V., p. 30). Puis, le but visé sera atteint : « Il tombe. La foule se précipite dessus et l’assassine en rythme ». Ensuite, il y aura une sorte de troisième mi-temps : « On procède au repas. Le monde est mangé ».

Dans cet univers fait de comique et de sauvagerie, l’assassinat en rythme reste une discipline prisée ; il en est encore question à la page 71 (cf. « Ils veulent se suicider en rythme ») et à la page 17 du Drame de la vie avec la variante notable du suicide collectif en rythme : « Les hommes commencent à s’assassiner en rythme ». L’horreur atteindra des sommets avec le « porc aveuglé et sans tête » qui, tel un hooligan rendu fou, assoiffé de sang, « veut se précipiter sur les morts et les manger. » (D.V., p. 17). La « course dans le mur » fait également partie des sports horribles inventés par Valère Novarina; mais avant le début des épreuves, il y a une sorte de cérémonial qu’il convient de respecter :

Chacun avant de partir aller s’écraser doit prêter serment, jurer qu’il quitte l’action, qu’il y renonce et l’abandonne.
COUREUR ANDRON, HOMO SAPOLEON. - Je quitte l’action.
HOMO ANDRON, CHAMPION SAPOLEON. - Je quitte l’action.

Autres sports violents : la « lutte les yeux bandés » (D.V., p. 17), l’épreuve du « vibrillector » (D.V., p. 48) qui évoque un appareil de torture, le « coupage de la tête » (D.V., p. 201) qui rappelle une rhétorique ubuesque, le « jet d’excrétions et de déjections » (D.V., p. 251) qu’on pourra juger dégoûtant, la « course de spermes » qui implique une farouche compétition et –dans La Lutte des morts cette fois (p. 374) –, les impitoyables « luttes de reproduction » (qui renvoient peut-être à l’idée de sélection naturelle). Certains sports pourront faire penser à des épreuves de force basque ou à des jeux forains de village : nous faisons allusion à la « montée du corps au mât » (D.V., p. 30) qui semble impliquer l’existence (?) d’un corps sans tête et/ou téléguidé. D’autres sports relèvent moins du jeu et de la force basque que de la guerre proprement dite (quoique prise ici dans une acception rabelaisienne, comique : Andouilles, etc.) ; nous pensons ici à la « Lutte de force entre les Hommes de poche et les Societs » (D.V., p. 17). Enfin, il y a des sports plus métaphysiques ou qui relèvent de la science-fiction ; c’est ainsi qu’on assistera à l’éclatante « Victoire de l’Homme de Bandru », soi-disant « libéré par le son qu’il a poussé » – ceci après un combat contre lui-même pour partir sur ce son (sans doute « ut ») fonctionnant comme un surf. Cette poussée libératoire semble permettre au lanceur une dantesque assomption s’effectuant sous les espèces d’une «[montée] aux sphères dans la lumière de […] globes réconciliés » (p. 22).

L’évocation de ces sports comiques (et parfois cosmiques) pourra éventuellement susciter un certain malaise comme la « plongée en confusion » (D.V., p. 286). Il y a aussi le « Concours de démence » (D.V., p. 252) et (in A.I., p. 174) le « concours de la boîte qui enferme le mieux » (« C’est moi ! c’est moi ! »). Autre sport auquel on voit mal à quoi il pourrait correspondre (peut-être une sorte de chasse au Snark) : la « capture du temps » (D.V., p. 215). On recense encore un sport d’essence nietzschéenne : le « massacre de Dieu » (D.V., p. 240) – une réflexion comme "si Dieu n’est pas mort, il faut l’aider à mourir" étant peut-être à l’origine de ce massacre impossible (car massacrer quoi ?).

Un autre sport évoquerait plutôt les miracles du Christ : la « résurrection par peinture sur peau » (D.V., p. 200). A rapprocher de cet art sportif à connotation positive, notons la « cible de la joie » (D.V., p. 258) qui apparaît novariniennement comme le plus beau des buts à atteindre et la « lutte pour la victoire du Trou à joie » (D.V., p. 221), qui a peut-être une connotation sexuelle.

Enfin, il semblerait qu’on puisse parler d’un « lancer d’âme au ciel » à la page 294 du Drame de la vie et d’une sorte de mouvement perpétuel (car, ici, le sport, c’est surtout de « persister en vianderie ») avec la « répétition de l’homme par l’homme » (D.V., p. 296). Quant au déhommage (il faudra y revenir), c’est un sport typiquement novarinien. Rhétoriquement parlant, on l’évoque avec des variantes : faire du hors-soi (ce qui évoque le ski et le hors-piste), la portée du corps hors de soi et la danse hors du corps (O.I., p. 114).

Résumons-nous : l’assassinat en rythme, l’épreuve du vibrillector, le lancer d’âme au ciel, la course Hippestre, la plongée en confusion, le jet d’excrétions et de déjections, la course dans le mur, la cible de la joie, le combat contre soi pour aller vers autrui, le surf Ut, le lancer de soi-même par soi-même, la lutte de reproduction, l’homme-cible, la lutte les yeux bandés, la lutte pour la victoire du Trou à joie, le lancer des choses d’exécution, la capture du temps, la nage sur page, la résurrection par peinture sur peau, le mime de jets, le jet de jets verts, le coupage de la tête, la montée aux sphères, le concours de démence, le massacre de Dieu, le déhommage et le hors-soi : nous voici donc en présence une nouvelle liste (quoique grossièrement recomposée).