2.2 Le Tour de France (et de la « phrase française »)

Dans un article, Marion Chénetier évoque même une fameuse course cycliste, le Tour de France, qui serait à son avis une des grandes figures ordonnatrices de la pièce et qu’on peut lire (dit-elle) « comme le parcours circulaire méthodique et acharné des régions de la langue française ». De fait, enchaîne-t-elle :

Les villes et les kilomètres défilent (chaque tableau commence par une litanie de chiffres), les poumons s’asphyxient (car l’exercice est mortel), les champions se coursent, parfois l’un ou l’autre le retrouve « seul en piste » (ce mot, souvent répété, qui dessine le cadre des exploits cyclistes et linguistiques, représente aussi bien la piste cyclable, la piste de cirque, que le champs des opérations : le « cirque clinique »). La traversée « de la gaule » est l’occasion d’énumérer les anciens parlers oubliés au profit d’une langue rectiligne. Ainsi, « la frontière Nord est gardée par l’ancien sabrien », on passe « la Sèvre et le Vivarinais », puis les latinaises et les larinais succèdent à l’époque des génites. C’est le tour du java-pontien […] Le foucarde de la France actuelle descend des deux : la latinaise et la vérique. Toutes sont des rameaux de l’ancien palabrais ». Finalement, « le tour arrive à Martyre-Oral-du-Cycle- Alimentaire et Mécanque-à-Verge ». En chemin, le latin côtoie également l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien. 199

Jouant sur la parenté phonique entre les mots France et phrase, Marion Chénetier ajoute :

On fera aussi étape dans chaque lieu de la phrase française : « En languon policier, les substantives ont les véros, les verbaliers sont raccords […] Les présents des participés des frances font des détours dans les langues. Les conjugaisons, les déclinaisons, tout est catastrophique. » Des langues aux phrases, on en vient aux sons et aux lettres elles-mêmes : « Le Tour passe sous le tunnel de l’Orge […] Montée à l’affût cascadière (des cascaderies). Les petites béantes (les petites consonnes) sont jetées vivantes d’en haut. […] Les feutres forgent des orgues à con pendant que les petites béantes (les voyelles) sont jetées vivantes dans le haut, dans l’eau […] Jondière lui sort du fusandier palais, la langué, les dentals, les voyelles sanguines et à bannières ». 200

Autre remarque de Marion Chénetier : « Ce tour du fond (puisque le fond de l’homme, c’est la langue) instaure une progression dans le texte, marquant un départ (tableau VI), et une arrivée (elle correspond au dernier tableau), ou l’on assiste au rassemblement final dans le stade d’Action. Dans cette progression s’intercalent plusieurs numéros de cirque, de danse, de chant, de combat, de voltige, auxquels assiste un public dont il est souvent fait mention, le même qui applaudit les arrivées et les exploits du marathon du verbe ».201

A la page 380 de La Lutte des morts, on comprend que ce sont un peu les mots qui sont sur le vélo : « Le tour de France est l’élément des morts en tronc qui tourne dans les phrases des fiancés des langues » ; face à ce type de description, on se dit que le titre de l’œuvre pourrait être « La Course des mots » même si le mot "Lutte" convient sans doute mieux pour décrire l’âpreté des confrontations – de fait, « L’Amphitère Joulet, la Somnique Ricassière et le Carnage des Placidiers » (qui « sont en ligne ») ne sont pas là pour plaisanter…

Notes
199.

Marion Chénetier, « Petit débat avec La Lutte des morts », Europe, op. cit., pp. 138-139.

200.

Ibid, p. 139.

201.

Ibid, p. 139.