3. Le Stade d’Action

3.1. Les Crétineries Olympiques

Dans La Lutte des morts, Vous qui habitez le temps et d’autres œuvres, il y a donc çà et là des références au sport mais celles-ci concernent donc surtout Le Drame de la vie, pièce qui, nous semble-t-il, pourrait tout aussi bien s’intituler « Le Stade d’action » – et renseigner ainsi le lecteur sur le contexte spatial sportif (stade, vélodrome) de bien des scènes. On peut y noter quelques allusions, peu flatteuses, aux J.O.. (ou plutôt à ce qu’on en a fait après les Grecs et Olympie) ; on parlera en effet des « Crétineries Olympiques » (D.V., p. 175) et de « l’assemblée des Crétins Olympiques » (D.V., p. 175) et on croisera aussi un personnage présenté comme « le nécrophile Champion Olympe » (D.V., p. 176), sport et mort étant ici (comme souvent) explicitement associés. Dans La Scène (p. 90), l’olympisme fera retour, mais de façon possiblement ironique dans « l’homme est un animal olympique », ce qui semble indiquer que c’est le seul qui soit suffisamment bête pour faire du sport. La phrase est bien sûr aussi un clin d’œil à Aristote affirmant que « l’homme est un animal politique » (politique ou olympique : ici, les deux termes sont sans doute synonymes). Enfin, dans L’Acte inconnu, c’est un « enfant Olympien » que l’on croisera.

Comme aux J.O., il y a des podiums et des sportifs sont couronnés même si l’on ne voit pas toujours très bien à quoi correspondent leurs sports respectifs : « Rector » par exemple est couronné « champion d’art », tandis que « l’Homme est sacré champion des choses » (D.V., p. 140) et le « Vivisecteur » : « Champion des Sciences » (D.V., p. 223). Il y a aussi le « Champion du tube » (D.V., p. 223), la « Championne du trou polisson » (D.V., p.175), le « Champion Mécanicien » (D.V., p. 219), le « Champion marthéticien » (D.V., p. 138), la « championne des trompes » (D.V., p. 15). Ici en fait, précisons-le, « Champion » est utilisé comme Maître ou Docteur (parfois, c’est presque un prénom) : « Champion Gérant » (D.V., p. 232), « Champion Carlin » (D.V., p. 232), « Champion Troupique » (D.V., p. 228), etc. Il y a aussi des champions dans La Lutte des morts, comme la « Championne d’orifice libre » (p. 470) et le « champion écarlate » (p. 499) ; quant au « Champion comique » de la page 424, il fait retour dans Le Drame de la vie, à la page 221. Enfin, dans Le Babil des classes dangereuses (p. 319), on retravaillera le mot « champion » pour parler de « lampions cyclistes », ce qui rappelle l’expression "lanterne rouge" – « Horizontalement, je suis le champion » sera la variation de Jodorowsky.

On ne précise que rarement en quoi consistent les sports de tous ces étranges champions mais on est tout de même parfois renseigné, comme à la page 245 du Drame de la vie où l’on apprend que les « Athlètes des stades d’Outre-Atlantique » (qui sont « champions du Trou Américain ») « savent comme pas un viser dans l’appareil en pleine cible ». On joue également avec le mot « podium » (évoqué tel quel à la page 85), dans « Champion Podium » par exemple (D. V., p. 86) mais aussi dans l’apocope phonétique en « podion » (D.V., p. 85) ; par ailleurs, c’est « [sur] le podium que montent les trous vainqueurs » (D.V., p. 86) tandis que le « podium sans membres » (D.V., p. 202) semble, lui, suggérer une vacance, un boycott à moins qu’il ne s’applique aux disciplines handisportives. Les trophées remis pourront être un « Tubium », un « Manchon » et un « trou véridique » (D.V., p. 86).

Quant aux expressions « champion en tous sens » (D.V., p. 139), et « Champion(/ne) de tout » elles semblent équivaloir poétiquement à l’expression connue « champion toutes catégories », le « champion des générations » (D.V., p. 85) ayant peut-être, lui, gagné chez les poussins, les cadets, les juniors, les seniors et les vétérans. La triche n’est certes pas absente de ces compétitions ; mais il y a un contrôle : « Attention : ce mort s’est dopé » (D.V., p. 189) ; le mot « sport » en lui-même semble également intéresser Novarina en ce qu’il ressemble aux mots « mort », « porc » et « corps » - on utilise aussi le mot « sportifs » : un café s’appelle « Les Sportifs » (A.I., p. 45) et on glisse de « Sortis » à « Sportifs » dans L’Acte inconnu (p. 45). Autre cas de tricherie : « L’Homme de Maclumerde » (qui porte un « serre-tête qui lui tient les yeux droits ») « monte sur le podium avant d’avoir gagné » (D.V., p. 14).

Non admis (mais c’est peut-être provisoire) aux Jeux Olympiques, les sports mécaniques seront évoqués indirectement à travers le « circuit Jean Ducub » (D.V., p. 254), la partie finale du mot renvoyant sans doute aux centimètres cube – idem pour « Roulez gros-tube » (O.I., p. 38) qui renvoie un peu à  » cube » mais surtout à « pleins tubes » (quant aux 24 heures du Mans, elles deviennent les « Vingt-Quatre heures d’action » à la page 28 du Drame de la vie). Dans son livre, Olivier Dubouclez constate à son tour que la scène peut « [devenir] un lieu sportif » :

[…]la métaphore olympique est confirmée dans le « Prologue » du Drame de la vie par le renvoi à la tribune du « Stade d’Action », la présence des « officiels », le « podium » sur lequel monte « L’Homme de Maclumerde (DDLV, 14). Le « Stade d’Action » est un bouillonnant creuset : assassinats, « massages de trous », morts violentes, compétition des « Vingt-Quatre heures d’Action » (DDLV, 28). 205
Notes
205.

Olivier Dubouclez, Valère Novarina, la physique du drame, op. cit., p. 25.