3.3. Gestes sportifs et figures de style

Il existe une expression tirée de la pittoresque rhétorique du rugby (cf. terminologie belliqueuse, mots techniques, expressions imagées, etc.), incarnée en France par Couderc et Herrero, qui pourrait nous permettre d’illustrer la rudesse et la radicalité d’un art, ce théâtre-là, où il ne saurait être question de concessions ni de demi-mesure : dans la manière dont Novarina se pose vraiment la question de la langue, on pourrait en effet dire de lui qu’il va au tampon, ce qui signifie qu’il va au charbon, au taquet, à l’os (dirait Céline), mouillant le maillot et payant de sa personne – c’est une autre manière, moins abstraite, de parler du sacrifice comique.

Quant au passing-shot (dont on sait qu’il peut prendre une forme lobée), c’est souvent le lecteur qui en est victime : croyant (erreur on ne peut plus funeste) comprendre quelque chose au texte, il monte en chaire et au filet, énonçant telle théorie à peu près satisfaisante pour l’esprit, raisonnable – cartésienne enfin comme on dit improprement – à partir du texte novarinien, mais qui ne tient finalement pas du tout la route à la relecture de l’œuvre.

Pour parler de victoire, disons que parvenir à terminer un livre comme La Lutte des morts, Le Drame de la vie, La Chair de l’homme ou Je suis peut équivaloir, en terme d’émotion, d’intensité (voire de soulagement et de libération) à marquer un but le soir de la Coupe du monde : cela marque une vie. La notion de plaisir du combat et de la lutte (gréco-romaine ? judo ? boxe ?) prend alors tout son sens car elle débouche tout à coup, en refermant le livre, sur la sensation d’avoir accompli un véritable exploit sportif – ce type de lecture semblant d’ailleurs agir sur le corps (crispations/détentes, énervement, saturation, rires nerveux, fou rire, etc.).

De même, certains spectateurs sortent littéralement épuisés du combat contre les zones de Broca et contre eux-même (paresse intellectuelle, sens artistique émoussé par une lente drukerisation de l’esprit) qui vient de se livrer. En allant voir une pièce de Novarina ou en s’apprêtant à en lire une, il faut être conscient qu’on va participer à un compétition sportive par la confrontation avec un texte : on sait qu’on va souffrir, suer, travailler du « chapeau mental », se faire surprendre par des changement de rythme et de braquet, essayer en vain de comprendre, se raccrocher aux branches, bref que ce ne sera pas vraiment de tout repos. Si lire du Novarina n’est pas toujours forcément un plaisir (idem pour Sade, Artaud, Joyce, Céline, Guyotat ou Gatti), cela constitue une expérience forte : si certains sautent à l’élastique, d’autres lisent Le Drame de la vie.

Quoiqu’il en soit de la difficulté du franchissement de la haie, force est de constater, un peu comme chez Tati, l’omniprésence du sport en tant que vivier de symboles (au même titre que la Bible ou le cirque) pour Novarina –mais surtout, comme on l’a vu dans La Lutte des morts et Le Drame de la vie.