4. Sport et mort : foot de gloire et foot de glas

4.1. Stade d’Epouvantasse

Tâchons à présent de comprendre en quoi le sport fonctionne chez Novarina comme une métaphore de la vie et de la condition humaine…

Tout d’abord, détail important, il semblerait que cette métaphore n’ait rien d’attrayant, rien de sympathique car enfin si l’homme est « champion », c’est « dans ses misères » (D.V., p. 138), un peu comme si, depuis la nuit des temps, Adam était voué au malheur, né pour la catastrophe. C’est ainsi qu’au seuil de la « Sortie des Athlètes » (qui serait donc la mort), on pourra, en prenant du recul, en faisant le bilan, se dire que le palmarès en question, celui d’Adam, est en fait des plus piètres, que cette vie sportive enfin aura surtout été jalonnée de cuisantes défaites, de terribles désillusions et d’humiliations dont il est presque impossible de se relever ou de sortir indemne ; considérons le cas de cet « homme » qui « entre et devant tous essaye le trou mixte mais n’y parvient pas : il n’arrive pas à se reproduire, la foule le hue et le sort » (D.V., p. 178) : ici, c’est la réaction du public (cf. huées) qui rend la défaite encore plus dure à supporter – la terrible réalité de l’échec est d’autant plus cruelle qu’il faut, pour finir, boire la coupe (?) jusqu’à la lie et « affronter les moqueries des vainqueurs du service de victoire » – cela, d’ailleurs, n’est pas si rare que cela dans le sport proprement dit comme en témoigne le psychodrame français du Mundial 2010 ("affaire du camion", curée médiatique, dureté des moqueries).

Bref, les athlètes qui échouent, si leur échec n’est pas synonyme de mort pure et simple, semblent condamnés à être plus ou moins bannis de la tribu humaine voire à croupir dans l’impuissance et la médiocrité ; c’est ainsi qu’un « groupe de perdants » se voit (mais ce n’est peut-être qu’un début) contraint à chanter des « chansons stupides » (D.V., p. 279). Cela dit, le plus rageant pour les perdants, ce sont peut-être tous ces coureurs qui vous doublent parce qu’ils se dopent (D.V., p. 190).

Par sa dureté extrême, la rhétorique sportive novarinienne ne peut que nous rappeler les œuvres d’auteurs tels que Sade et Céline voire la pensée d’un Nietzsche ; en effet, pas vraiment de morale (dans le sens chrétien du terme) dans ce Stade, où ce qui compte, prime, importe, c’est la loi de la jungle et celle du plus fort : il s’agit de rester vivant, de ne pas se faire éjecter par les autres concurrents, de manger autrui pour ne pas être mangé par lui, de se stimuler en se disant « Ma pomme, c’est un surhomme » (cf. Chanson automobile) voire, de façon plus triviale et pour citer Céline, de « bander vite et fort avant qu’on nous les coupe ». Pour dire cette dureté de la vie (son horreur voire), Novarina aura recours à des métaphores plus parlantes que « Stade d’action » ; citons par exemple « stade d’effort » (D.V., p. 258), « Stade d’Epouvantasse » et « Stade Epouvantable de vie » (D.V., p. 179) où s’exprime de la souffrance et qui, pour citer à nouveau l’auteur de Mort à crédit, rappellent la « farce atroce de durer ».

Restons dans les correspondances et assumons pleinement de comparer le dramaturge à un auteur de bandes dessinées comme Enki Bilal car ce dernier a inventé des sports n’ayant que de lointains rapports (est-ce si sûr ?) avec le football et le hockey sur glace où la violence atteint son paroxysme, tous les coups étant permis (les crosses des hockeyeurs étant aiguisées comme des lames de rasoir) : sommes-nous très loin de l’approche novarinienne de la condition humaine ? De même, Pierre Pelot, dans un roman de science-fiction intitulé La guerre olympique et dont l’action se déroule en 2200, imagina de violents affrontements entre athlètes dopés, « Blancs » d’un côté, « Rouges » de l’autre (l’idée se retrouvant un peu dans le Wang de Pierre Bordage).

En somme, les anciens jeux, du stade et du cirque, perdurent ici sous d’autres formes ; en effet, chez Pelot, Bilal ou Novarina, c’est l’homme qui est un lion pour l’homme et des sportifs que l’on met à mort sans pitié – ainsi, dans Le Drame de la vie : « Deux patineurs sont sacrifiés ».