Dans ses œuvres, Novarina a toujours plus ou moins mis en scène le combat immémorial opposant la vie à la mort et Eros à Thanathos. Chez un de ses modèles, Antonin Artaud (mais notre vision est peut-être subjective), il semblerait que ce soit plutôt le macabiat (maladie, souffrance, entropie, morbidité, constat général d’échec, haine d’une société brimante qui, surtout la nuit, vampirise littéralement l’individu, rapports de domination entre les êtres, « asphyxiante culture ») dont le processus se voit accéléré par les sortilèges mortifères, ondes négatives et autres flux mentaux toxiques (contre lesquels l’artiste essaie pourtant de lutter) qui l’emporte in fine ; chez Novarina, la lutte est certes dure, âpre, acharnée (et les problèmes évoqués parfois semblables à ceux d’Artaud : « cerveau empêché de pensé », contexte social perçu et présenté comme pesant, etc.) mais il semble que ce soit plutôt la vie qui finalement sort victorieuse (surtout dans les pièces les plus récentes évoquées ici).
Cette notion de victoire finale est ici à relativiser ; disons que c’est une victoire finale-provisoire qui ira de pair avec le rire et s’exprimera souvent de façon enfantine. Crier « Mort à la mort ! » par exemple (manière naïve de s’opposer implicitement à un slogan sportif-morbide qui dirait "Allez les vers !"), c’est se réclamer radicalement de la vie, la supporter jusqu’à en vouloir la mort de l’adversaire et de toute adversité puisque cet adversaire invisible (qui a déjà commencé un redoutable travail de sape) veut la nôtre depuis toujours ; en cela, nous n’allons pas vraiment dans le même sens que Christine Ramat qui se prononce plutôt en faveur d’un parfait ex aequo:
‘ A l’image du corps refait, dopé, surentraîné du champion, dont on finit par ne plus savoir s’il incarne la santé ou la maladie, la langue hésite entre excès de vitalité et prolifération cancéreuse. 206 ’A notre avis donc (si on veut bien considérer les choses sous un angle plus pragmatique, celui de l’auteur et de la création qu’il nous propose), c’est tout de même l’excès de vitalité qui l’emporte au finish. De fait, si les forces entropiques avaient vraiment neutralisé l’excès de vitalité, l’œuvre n’aurait même pas pu exister et la langue n’aurait jamais pu, ceci pour continuer la métaphore, aller au bout du marathon : elle se serait sclérosée avant la ligne d’arrivée, cela étant également valable pour Artaud qui sut tout de même se battre suffisamment contre la mort et le cancer qui le rongeait (car ici, rien n’est symbolique) pour avancer vaille que vaille, écrire jusqu’à la fin et produire l’œuvre que l’on sait.
Cela posé, les choses sont bien sûr plus floues et plus équilibrées. En effet, ce qui, a priori, semble du côté de la vie travaille parfois pour l’équipe adverse et cette réversibilité toujours possible est, de fait, efficacement mise en scène par Valère Novarina. C’est ainsi que la lumière nuit, érode et rabote ; autrement dit (pour parodier deux slogans fameux) : "la lumière tue" et "nuit gravement à la santé", ce qui se vérifie pleinement dans le cas particulier (mais terriblement concret) des cancers de la peau causés par l’exposition du corps au soleil (on sait que Novarina se méfie même de la lumière électrique). Cela, cette ambiguïté, complique le combat mais la victoire de durer n’en est que plus belle.
Christine Ramat, Valère Novarina. La comédie du verbe, op. cit., p. 109.