5.2. Jeu et jet

Enfin, on peut aussi pester contre la fatalité de la défaite (ici de la déconvenue après la confrontation avec autrui-le-solitaire) et de la disgrâce/désunion (et même de l’impossibilité à former couple quand cela s’avère voué à l’échec) comme dans tel chant/chapitre du Discours aux animaux où le narrateur éconduit la fille Latrique qui ne veut pas lui rendre son élastique. On pourra alors penser au Queneau de Chêne et chien : « Et lorsqu’une tit’ fill’ tentait de m’embrasser / D’un chaste et fort soufflet loin de moi la chassais » ; mais l’énorme différence est qu’ici, l’élément féminin (cf. Marie-France Latrique) se rebiffe, qui semble insulter le « je » qui se souvient de l’épisode. Or – et c’est surtout à cela que nous voulions en venir –, les insultes en question sont des « chiens qu’elle lui lance à la face des trous » (p. 203)… On assiste donc ici à un lâcher de chiens d’un type particulier : il y a de la violence dans cette image, tout comme dans cette idée de chasse sportive (voire de safari à la Hemingway, de curée se préparant) que l’on retrouve un peu dans cette phrase de La Chair de l’homme : « partez, les mots ; allez annoncer partout que l’animal de la parole n’a pas encore été capturé » (p. 478).

Bref, il semblerait que les mots aient ici une certaine vie, une autonomie relative qui, un peu comme chez Nathalie Sarraute (nous y reviendrons), les apparenterait à des animaux. Le théâtre novarinien serait donc un stade de paroles, un cirque sans acteurs ni auteurs – mais juste des passeurs, des tuyaux et des animots qui lutteraient, pour faire allusion à un sport de combat et à un autre titre de pièce.

Dans la photo choisie pour faire la couverture de l’édition Poésie/Gallimard du Drame de la vie, on dirait que l’auteur s’apprête à souffler dans une sarbacane ; de fait, le texte qu’il tient à bout de bras (et ici, tendre, c’est lire, donner, offrir la parole) s’apparente presque, dans ce cas, à un instrument à vent à part entière comme la flûte de pan, la trompette, le clairon ou le saxophone – aussi bien, on pourrait penser qu’il souffle sur de la poussière et qu’il cherche à nous envoyer des mots en soufflant sur le livre, par le truchement de l’objet livre, dans un instrument de musique qui serait le livre. En assistant à une de ses lectures, on pourra même avoir l’impression d’être symboliquement béni avec de l’eau invisible, par de la parole lancée, projetée dans l’espace et dans sa propre direction – pour l’avoir vu sur scène, affirmons qu’Armand Gatti est un Saint Jean-Baptiste de cette espèce (idem pour le chamane Ferré son frère en anarchie).