1.3. La manducation de la parole

1.3.1. Mots et mets

Sans aller jusqu’au Mexique comme Artaud ramenant CIGURI dans ses bagages, on peut recenser des expressions qui indiquent assez que dans la langue française, la parole – qu’on peut aussi prendre, passer ou donner – est parfois assimilable à un aliment ou à une boisson (on parle aussi de manducation de la parole). De même, si Falstafe est gros, c’est peut-être parce que son ventre contient « plusieurs sacs de mots » (F., p.534).

On peut aussi boire des paroles – comme dans le Journal intime de Sally Mara (où Sally/Queneau écrira : « Il déglutissait mes paroles comme si, sans que je le susse, c’eussent été des oracles. »). « Buvez cette scène » nous est-il lancé dans Le Repas (p. 28). Dans une chanson peu connue, Serge Gainsbourg nous expliquera, lui, qu’à force de boire ses paroles, son chien est mort d’une cirrhose. « Peut-être était-ce par osmose ? » conclut-il avec humour tout en proposant une rime très originale. Novarina, quant à lui, propose un mot-fruit d’une façon qui rappelle le vers d’une des dernières chansons d’un autre artiste populaire évoquant la mort « comme on parle d’un fruit » ; plus concis que Brel, le dramaturge prétend que c’est « le mot du mort » qui « est un fruit » (D.V., p. 203) ; on verra plus loin que c’est un fruit qu’il cueille volontiers.

Si, pour Montaigne l’œuvre littéraire relève de la fricassée, le langage peut ici (c’était aussi l’avis de Senghor) s’apparenter à une sorte de confiture : « C’est du langage ou nous étalons du langage sur du langage » (O.R., p. 48).