1.4. Eau du baptême et parole liquide

Pour en revenir à l’élément liquide, on ne peut pas ne pas citer ce jeu de mot possiblement fondateur (puisqu’il semble équivaloir à une sorte de baptême) : « Venez nous nettoyer de ce flot de paroles » (O.I., p. 162). Avare en didascalies, Novarina fait même accompagner ce nettoyage d’un genre particulier par celle-ci, qu’il faut absolument citer : « Elle verse de l’eau sur lui pendant 8 répliques ». L’élément liquide, la « parole liquide » sera encore présente dans cette déclaration du Jardin de reconnaissance : « l’Enfant de la Grammaire écoute les phrases couler » (p. 26).

Dans La Scène (p. 77), le miracle de la mer rouge est rapproché d’un baptême fondateur car c’est de cette eau rouge que nous serions faits : le Vrai sang, c’est celui-là (et il a encore à voir avec une parole sacrée) ; à la page 59 de La Scène, le langage est une sorte de fluide et rappelons que dans Le Babil des classes dangereuses (un Babibl’?), on parlera de « verser son sabir » à la page 201. Dans L’Acte inconnu, c’est de « paroles versées pour entendre » (p. 84) que l’on parle et on va jusqu’à dire que « le liquide, c’est le langage ». Pourtant, le liquide de la parole est souvent présenté comme étant rouge : à la question de savoir ce qui sort […] de la bouche, il est répondu(/répandu) « Du sang d’homme. Des paroles » (p. 117), ce dont certaines peintures donnent en effet une image.

Autre image à évoquer ici (A.I., p. 138): celle du fils refusant par pudeur d’exhiber devant sa mère (« tu ne le verras pas ») « l’orifice du langage » (supposons qu’il s’agit de la bouche) : pour lui, c’est comme un vagin, un « trou de vie » d’où sortent certes des mots mais qui sont au fond comme des êtres, lorsque novariniennement considérés – cela dit, l’orifice du langage correspond peut-être à d’autres trous (yeux, fontanelle, anus, etc.) : tout peut toujours se renverser (ainsi, on lira à la page 122 : « verse sur moi la mort »).

La parole est aussi utilisée de façon performative : » Ils prononça le mot source et tous en burent » est-il dit à la page 179 de L’Acte inconnu : la parole, si elle nourrit, peut donc aussi désaltérer. De façon générale, elle est présentée comme non seulement potable mais bonne – c’est plutôt les mots qui sont problématiques. Enfin, de même que Panurge naît d’un texte, celui qui raconte la Rencontre et que l’Icare de Queneau sort de la page, certains personnages font le saut – et se mettent à exister vraiment, sur scène (grâce au talent des acteurs) ou dans la tête du récepteur (spectateur, lecteur ou auditeur), si bien sûr ce dernier n’a rien contre la pataphysique telle que pratiquée par Valère Novarina. Pour finir, citons Christine Ramat qui dit du comique verbal qu’il est « baptismal » en citant une interview de Novarina où il déclare : « il régénère l’esprit de son ondée brusque »212.

Notes
212.

Christine Ramat, Valère Novarina. La comédie du verbe, op. cit., p. 388.