2.4. Mobjets, animots, et sentimots

2.4.1. Le « main », le « te » et le « nant »

Dans la langue française, on parle encore de « mots blessants » et de « mots qui font mal » voire de « répliques qui font mouche ». Nous connaissions certes le « mot-valise » mais Novarina invente, lui, le concept de « mot-pelle » : « J’ai creusé ma tombe avec mes mots » (D.V., p. 160). La langue elle-même est une sorte de pelle, celle qu’utilise l’homme, défini ainsi dans Le Drame de la vie (p. 100) : « Il a fait un trou dans le monde grâce à sa langue qui lui sert de bout à néant » (D.V., p. 100) : où s’arrêtera-t-il ? Ailleurs (in B.C.D., p. 280), on affirme : « nos outils sont nos langues ».

Après la pelle et pour rester dans les outils, on pourrait aussi bien évoquer une idée de Jacques Rouxel : il s’agit d’un de ses fameux personnages tous aussi obtus qu’absurdes (et dont la vie nous fut contée avec grâce par le comédien Claude Piéplu), qui essaie par le biais d’un marteau de faire rentrer le mot MEU dans la tête d’un de ses congénères – tête contenant déjà les mots GA, BU et ZO (ce qui, pour un shadok ,est déjà beaucoup trop) : l’approche rouxellienne est d’ailleurs souvent comparable à celle de Novarina (dialogues, inepties voulues, critique sociale, parenté avec la pataphysique, etc.). Shadoks et Hommes de Societ se ressemblent en effet : si les uns pompent, les autres creusent, pendant que Boucot a le pistolet chargé.

Les mots enfin, le poète nous y invite, il convient de les « [prendre] dans la main pour voir comme ils sont faits ». Allant peut-être encore plus loin dans la métaphore, Novarina décompose le mot, le décortique, l’ausculte et le dissèque comme ferait un chirurgien : on cherche le présent dans « maintenant » mais est-il dans le « main » dans le « te » dans le « nant » (J.S., p. 78). Notons que si le « main » se féminisait, c’est bel et bien dans la main, ici et maintenant, qu’il s’agirait de chercher le présent.

On peut aussi s’efforcer de soigner son écriture (comme si celle-ci était malade), se définir comme un porte-parole ou, plus prosaïquement, tenir le crachoir ; certains adjectifs s’appliquent aux mots comme aux humains : mots croisés (cf. croisades), mots grossiers, gros mots, le fin mot de l’histoire. On dit mot de passe comme on dit hôtel de passe et si les mots doux sont parfois dits bleus (le chanteur Christophe en fit même un succès), ils peuvent très vite se faire durs. « Car le mot qu’on le sache est un être vivant » s’exclame Hugo – sur Booz, Pierre Michon ira jusqu’à déclarer : « ce poème occupe pour moi la place du père ». Toutes ces phrases étonnantes, toutes ces expressions ambiguës : qualifions-les de novariniennes (cette rhétorique, en tout cas, constitue un axe central de son œuvre).