2.4.3. Limites et danger de la parole performative

« On ne joue pas avec les sentiments » dit une autre expression : cela s’applique encore plus aux mots : les manier est tout sauf un jeu ; c’est comme jouer avec le feu : il faut se méfier : « Attention Langage » (A.I., p. 99) est un panneau qui devrait exister.

Cela dit, ces métaphores ont leur limites : « Voici ma bouche qui le dit : le mot bouche ne mange pas […] le mot feu ne flambe pas […] le mot tonne ne pèse pas lourd, le mot lumière n’éclaire pas » (S., pp. 117-118). A contrario : « le mot eau s’écoule quand il est prononcé […] le mot arbre brûle, le mot homme va tuer son prochain, le mot chien aboie » (S., pp. 117-118), « le mot couteau pourra me trancher la tête » (p. 119), « je vais me couper la gorge avec le mot couteau » (S., p. 119). Au fond, ici, ce qu’on désire, c’est « vivre la passion de la parole » : « je vais me clouer au mot bois, m’y fixer par le mot clou ; perdre le mot sang par ma bouche juste au moment où c’est elle qui le prononce » (S., p. 120).

Notons encore, dans L’Acte inconnu : « mettez à bas ses voyelles, enchevêtrez ses consonnes de sorte d’en faire un grand sac de oui » (pp. 46-47). De même, dans le tir pataphysique sur les objets jardin et les objets cour (A.I., p. 105), on vise sans doute aussi des mots : on critique des habitudes langagières et de pensée. « A force de parler, nous avons inventé le langage » (A.I., p. 29) : à nous de le réinventer, de le réinvestir et de le réenchanter, comme nous y invite Valère Novarina.