2.6. Les vêtemots : une tunique de Nessus 

Surnommé « Jean des Trous », Jésus pourra se « coiffer d’Inri » (c’est à dire d’un mot ironique surplombant sa tête) dans L’Origine rouge (pp. 128-129) : « Cui qui mit l’chapeau d’épines / A midi / Attaché à la colonn-e / Et moqué-hé hé hé hé hé / D’être en homm-e / Se coiffa d’INRI / L’vendredi » – de même, François Bon évoque un « grand manteau de langue » pour parler de l’œuvre de Rabelais, englobante comme une chape de cosmos et sachant réchauffer en son seing les traditions déclinantes, celto-arthuriennes et autres.

C’est que, chez Novarina, on s’habille et on se déshabille de mots : « Nous nous dépouillons des mots en parlant ». (J.S., p. 114). Le dramaturge revient sur ce « dépouillement » dans le recueil Pendant la matière (p. 112) : « Les mots viennent de la culture mais la parole de Dieu ; c’est pourquoi « [nous] devons nous dépouiller des mots en parlant pour entendre la parole comme une écriture en nous ».

Dans une autre phrase de Je suis (p. 175), dépouiller pourrait avoir un autre sens : « Nous voudrions maintenant nous dépouiller des mots en parlant. L’homme serait-il donc pouilleux de mots ? S’agirait-il de s’en débarrasser ? Seraient-il finalement (même si le verbe « épouiller » correspond mieux à cette idée) aussi dangereux et envahissants que les poux de Lautréamont ?

Il est vrai que c’est souvent pour des mots (mots d’ordre, idéologie, textes sacrés, etc.) que l’homme consent à s’autodétruire – là encore, on voit que la projection à partir d’une métaphore novarinienne peut aller très loin…

Pour en revenir à la piste de l’habillement verbal, elle est aussi présente (quoique de façon relative, précaire) dans les « haillons verbaux » de L’Opérette imaginaire (p. 65) ; de même, on parlera de « [porter] son costume de langues » dans Le Théâtre des oreilles (in T.P., p. 80). Dans L’Acte inconnu, un personnage est « affublé d’un cri » (p. 155) et on retrouve le mot-coiffure (INRI) à la page 147 : c’est d’ailleurs « [l]’vendredi » (jour du poisson : ici tout se tient) que le Christ se voit coiffé voire « affublé » d’INRI – puis « [on] mangea tous ses vêtements » ; or, ces vêtements, ce sont sans doutes des vêtemots, des oripains, à savoir la Bonne Parole, qu’il va s’agir d’ingérer puis de digérer.