3.2. L’adresse à la parole

Il propose en fait mille autres pistes, moins lisibles certes, mais en prenant vraiment la parole au sérieux ou même en s’adressant à elle(s) et/ou au(x) mot(s), avec une sorte de sourde angoisse, d’inquiétude diffuse comme dans (in V.Q.) « Mots qui m’échappez, revenez-moi si j’ai parlé ! Mots lancés, revenez m’attacher […] ! » ou dans « Tu ne sauras rien tant que tu ne vas pas jusqu’ou les mots rebroussent chemin. » (J.S., p. 119) ou bien « Paroles encore dans ma pensée, retournez vivre d’ou vous sortiez » (V.Q., p. 88).

De même, dans Le Jardin de reconnaissance, on s’adressera à la voix : « – A qui le dis-tu ? à moi ? / – Non, à ta voix » (p. 48) et notons que quoique courte, Le Jardin de reconnaissance est une pièce où ce genre de jeu est très fréquent, ce qui peut s’expliquer par le fait, mais ne l’affirmons surtout pas, que nous somme en compagnie d’Adam et d’Eve et confrontés donc au drame de la parole. Dans Je suis, les « mangeurs plusieurs » s’adressent peut-être à leur propre langue : quand on lit « Homme de Labi, déglutis-toi toi-même », on pourrait presque en déduire que comme dans une nouvelle noire de Topor dans laquelle un pied est prénommé Suzanne, nous sommes en présence d’une partie du corps (ici : la langue) présentée comme un individu.

Dans La Scène (p. 145), on repeint le monde en chantant une comptine (« je nomme ijaune le faux vert, iviolet le noir foncé et le violet violet non-violet ») et on somme le langage de ne pas s’en mêler en lui disant de « rester de l’autre côté d’ici ». A la page 116 enfin, on s’adresse au mot "vert" mais cela est ambigu puisqu’un des acteurs s’appelle Omhovère (Pascal). Précisons que l’adresse à la parole a parfois quelque chose d’accusateur, des phrases comme « Faites entrer la parole ! » ou « Etes-vous en cheville avec le verbe ? » évoquant un tribunal ou un interrogatoire. Rappelons ici qu’il s’agit aussi de mettre en mouvement le langage, ce dernier pouvant presque ici être présenté comme une sorte de machine qu’il faut savoir faire démarrer - mais pour monter dans cette folle logomotive susceptible de s’emballer, il faut avoir un certain courage – Artaud l’eut, Novarina l’a.