3.9. Le Grand Sézamier

En somme, nous ne quittons pas le Cirque de la cruauté novarinien car devant toutes ces métaphores qui font littéralement apparaître, surgir la parole, on peut avoir constamment présent à l’esprit l’image d’un Monsieur Loyal (Novarina ?) qui nous lancerait avec passion : « Entrez dans la réalité de la chose dite » (J.R ; p. 62). Ailleurs, dans Le Babil des classes dangereuses, le concept de parole performative sera même humoristiquement résumé : « Acte ton clapus » (p. 354) mais rappelons aussi « verse ton sabir », etc. Dans L’Acte inconnu, un « être-mot » semble crée mais sortant d’un vagin inattendu : « Un fils sort de la bouche de son ouvrier le père Philibert » (p. 19).

Le gros rire rabelaisien qui, surtout avec le personnage de Panurge – qu’on a pu comparer à Hamlet mais qui pourrait tout aussi bien être rapproché de Falstaff (qui n’est au fond qu’un Hamlet enveloppé) –, rejoint parfois la clownerie, pourra même aussi, à l’occasion, faire son entrée en piste en nous montrant le Drame de la parole sous un jour peut-être moins inquiétant : c’est le cas, dans L’Origine rouge, de « cette fable [pétée] par Pétrarque » (p. 198) où l’auteur s’amuse à opposer iconoclastement deux mots, péter et Pétrarque, dont l’association peut surprendre, l’effet de comique étant accentué par la musicalité de l’expression et le caractère insolite et surprenant (cf. é/a/é/é/a/é/a et p/t/p/p/t) des sonorités et allitérations.

Dans L’Acte inconnu, on revient aux fondamentaux en s’inspirant de la Bible. Il est vrai que le premier des créateurs performatifs fut bel et bien Dieu en personne : le « verbe […] fendit le rocher et l’eau ruissela (p. 176) ; plus loin (p. 179) : « il prononça le mot pain et le rompit jusqu’à la dernière des miettes », etc.

A la page 134 (toujours dans L’Acte inconnu), on a même un dispositif systématique (cf. « il créa les […] et les appela : […].») s’appliquant au travail divin. Sortent de cette machine les yeux (nommés impasses du vide), les mains (« prenantes et adorantes »), le cerveau (ce « centre insensible ») et le cœur (appelé « toi qui bats la mesure en vain ») puis le moule initial se transforme légèrement : on a « il [verbe suggérant une action et suivi d’un C.O.D.] et [verbe permettant de nommer la création obtenue suivie d’un C.O.D] » puis une variante en « il fit la matière et de la matière il fit Adam » puis une phrase structurée comme la précédente, après quoi on reprend le moule initial – avec en pointe « il forma l’homme et lui dit : reste debout. Mais l’homme se coucha devant les effigies de l’homme qu’il s’était adressées à lui-même ».

Bref, nous sommes bel et bien en présence d’une machine à nommer et à créer (à nommer-créer dirait peut-être l’auteur) et cela concerne en fait l’œuvre tout entière car le travail performatif est constant de la part de notre démiurge qui n’en finit pas d’inventer de nouveaux noms, de nouveaux mots et de nouveaux personnages.