1.4. Vous permutez, Monsieur

Sans reproduire le nom des personnages – cf. « L’un des hommes en deux », L’une des doubles femmes, l’un des enfants quadruple, l’octuple personne, les gens en huit »(« Les seize étant peut-être un chœur formé de l’association des gens en huit et de l’octuple personne ») – et afin de voir tout de suite en quoi consiste le jeu, nous reproduirons en partie les pages 157-158-159-160 de Je suis ou les mots concernés seront notamment «  pierre(s) » et « caillou(x) » (et dans une moindre mesure « crâne », «poussière(s) » et « prières ») :

- Quand je tiens le CAILLOU, le CAILLOU n’est pas. Si je le cache, le CAILLOU vit caché à l’intérieur du mot CAILLOU. (Il le fait.) Il y a un homme en CAILLOU et en joie entre vous et moi.
- Echangez-vous les PIERRES.
- Echangez-nous les PIERRES ; échangez-vous les poussières.
- Echangez-nous les trous : Notre père, donnez-nous des PIERRES à la place des CAILLOUX.
- Changez immédiatement ce CAILLOU contre moi.
- Prenez ceci à la place de votre crâne maudit
- Je ne peux me mettre cette PIERRE à l’intérieur du crâne qu’en pensée ; sinon elle serait.
- Echangez-vous des PIERRES à la place de prières.
- Recevez le CAILLOU de ceci.
- Voici la PIERRE de là.
- Nous nous échangeons des PIERRES à la place des pensées.
- Echangez-nous les idées à la place des CAILLOUX.
- Nous nous échangeons des poussières.
- Je m’échangerais volontiers des PIERRES à la place du cerveau.
- C’est difficile de porter un cerveau. […]
- Faites-nous des faces de PIERRES
- Faites-nous des faces de PIERRES pendant la mort et des têtes de CAILLOU sur la terre des vivants.
- J’ai de plus en plus de peine à supporter toujours l’idée de mon crâne sans cesse en moi comme une PIERRE au milieu de la figure.
- Faites-nous mourir à la place des PIERRES pour leur sauver la vie, et divisez à nouveau nos têtes en deux.
- Emettez des PIERRES ; et qu’elles souffrent enfin de notre poussière avec vous.’

On pourrait même considérer que « p(r)ières » et « p(ous)ières » – voire « (sou)pières » – sont phonétiquement des allongements de « pierres » ; il y aurait donc en fait encore moins de boules dans la corbeille.

La structure pourra rester à peu près fixe ; et les changements opérés donneront tout à coup aux mots, par "verbage" notamment (cf. « clochent ») et changements au niveau de l’orthographe, comme un statut nouveau :

Toutes les CLOCHES sonnent CREUX
toutes les sonnes CLOCHENT CREUX
toutes les CHOSES sonnent CREUSES
toutes les sonnes CREUSENT CLOCHES
toutes les CREUSES sonnent faux.

Ici, ce sont les cloches qui s’envolent, le faux sonnant creux et le creux sonnant faux concernant aussi les choses en général : tout est son, tout est creux, tout est faux, tout cloche, tout est cloche et tout est déjà sonné comme un boxeur qui ne va pas faire long feu sur le ring de la vie. A la page 130 de Je suis, la structure sera fixe, immuable : « Nous ne [verbe être] que ce que nous(/on/il) [verbe manger]»  et les changements concerneront surtout les temps, à savoir le présent, des temps du passé et des formes conditionnelles. Pourtant surgiront des exceptions et des écarts cocasses (?) comme « Nous ne sommes pas ce qu’il y a dans les plats » et, à la page suivante, « Si nous avions été; nous nous serions aperçu que nous étions mangés ».

Le jeu pourra donc, comme à la page 193 de Je suis ne concerner que des verbes et les temps de ces verbes (ici « venir » et « être » et présent, passé simple, passé composé, futur). A la page 137 de Je suis, « je » jouera avec un balai (parfois verbé), la « poussière », « l’accompagnement » et « moi-même » :

‘[…]a force de balayer l’eau de l’évier puis de me laver sans cesse aux pauses, l’envie me prenait parfois de me balayer moi-même à force de balayer : j’aurais voulu m’accompagner moi-même en balai jusqu’à la poussière ; j’aurais voulu m’accompagner moi- même en balai jusqu’à la poussière pour qu’elle sorte.’

Comme dans certains raisonnements gombrowicziens se mordant la queue, il y a souvent, comme on le voit, une sorte de progression dans le comique. Mais ce procédé novarinien est aussi un procédé d’insistance pour dire et redire le désespoir d’un personnage qui semble s’assimiler à de la poussière qu’il s’agirait de faire sortir avec un balai.