2. La Tempête

2.1. Une machine à laver (?) le langage

Dans un même ordre d’idées, La Lutte des morts semble un « four » (p. 501) où les langues se forment. C’est même, pourrait-on dire, l’épopée du langage en formation. L’idée de tectonique des plaques concerne ici les mots qui sont comme (?) des personnages. Quant aux « morts » , si c’en sont, ils s’expriment dans une langue « phranssaise » (p. 413) où la syntaxe est bellement bousculée, chahutée, cahotée, voire chaotée. C’est l’état d’alerte : « Les officiels sont affolés. Seuls les autres savent encore quoi dire » (p. 527). La langue n’est en fait ni « phranssaise », ni « pharançaise » (p. 445), ni « française » (p. 453), ni même « vrounzaise » comme chez Céline (cf. Rigodon) mais en perpétuelle évolution, transformation, mouvement. Il faut pouvoir suivre, » s’accrocher aux branches », aux branches de cette « forêt de langues » (D.V., p. 213).

En fait, La Lutte des morts est à coup sûr et pour l’instant la pièce plus difficile que Novarina ait écrite. Latin, figures de style, anglais, argots : ici tout est convoqué. L’écrivain est en somme celui qui, comme un apprenti-sorcier ne maîtrisant pas encore vraiment son art, fait passer le langage dans une machine à laver (ou plutôt à laver-salir), une corbeille de loto, et assiste (à) toutes les métamorphoses. Certains mots voudraient exister, rester dans la place mais on les en empêche.(p.514 -516). Jetés hors du cercle par la force centrifuge, ils ne reviendront plus. D’autres résistent. La lutte est sans merci. Il y a du combat dans les têtes. Les scènes d’opposition sont nombreuses. La politique s’en mêle (cf. Giscard ; p.516). « Vive le latrin ! » entend-t-on, « Pas la romaine ! » (p. 516). L’école dit « Conjugue ! » (p.519) mais « la française qui est la seule à cédille » (p.526) n’est pas toujours si normative : tout ne va pas de soi, et le long fleuve n’est jamais tranquille ; c’est l’état d’alerte perpétuel, la tempête permanente.