2.3.3. « Planche à bâbord ! Planche à tribord ! »

Sous la tourmente, vaille que vaille, même débordé par le mot, il semble que l’auteur reste maître à bord : il garde le cap, sachant toujours à peu près où il va. Des phares sont là, rhétoriques, culturels. L’on s’inscrit dans une histoire : celle de la littérature. Si la Bible reste une boussole de choix, il y a aussi la balise Artaud, la bouée Shakespeare, l’étoile Jarry, etc. De même, s’il y a des courants contraires (Sirènes, Circé, Charybde et Scylla, discours séduisant de Grillus, Boucot, Miss Boucot, Manès, Machine à dire voici), il en est de sympathiques : s’il y a des Parques, il y a des barques ; des rails sont là, il y a des îles et des radeaux – et c’est peut-être ainsi (la planche pouvant aussi être celle du salut) qu’il faut lire « Planche à bâbord ! Planche à tribord ! ». Bref, on sait d’où l’on vient, de qui l’on se réclame, dans quelle filiation l’on s’inscrit : la source est rabelaisienne, ludique et lumineuse : il faut s’y abreuver. En somme, si le vent qui souffle est celui de la parole, des voiles sont là pour orienter et diriger le bateau. Même à fond de cale (comme dans Je suis), le Capitaine Novarina, favorisé par Eole, a toujours su, tel Ulysse, hisser la grand-voile et repartir de plus belle (en enchaînant avec La Chair de l’homme, par exemple). Pour le passager (lecteur ou spectateur), l’embarquement est immédiat : pas de Ferry pour une autre fois, nul mal de mer qui tienne, on monte à bord ou on reste à terre : pas de juste milieu ; ici, des expressions énergiques de dureté martiale comme "Engagez-vous, rengagez-vous !", "Souquez ferme !", "Exécution !" (voire "C’est pas La Croisière s’amuse, ici !") pourraient rendre compte de la violence avec laquelle s’effectuent l’embarquement et le sacrifice comique, un peu comme une voix intérieure qui nous signifierait qu’il faut ramer, trimer, souquer, écoper, etc. On a signé, c’est pour souffrir (et les acteurs en disent autant).

On aura bien sûr compris le sens de cette absurde mini-description, peut-être un peu célinienne sur les bords – mais sans les points de suspension – de tempête dans les zones de Broca : celui d’illustrer l’idée que lire du Novarina, « c’est une navigation très épuisante » ; épuisante certes mais le combat vaut le coup car lorsqu’on boit la tasse, c’est peut-être pour suivre le conseil de Rabelais : « Trinch ! ».