Dans un article, Allen S. Weiss dit de l’œuvre de Novarina qu’elle « met la langue française dans l’état extrême de mutation, de transformation, d’aberration, où les noms sont transmués en verbes, les verbes déclinés comme des explétifs, et où les explétifs existent d’une manière précaire, selon un mode proche de ces borborygmes qui troublent nos viscères – corps avec trop d’organes, et jamais assez de mots » :
‘ De telles aberrations révèlent la folie de l’imagination, la manifestation de différences in extremis. De même que chaque monstre verbal, chaque hapax, comporte une structure idiosyncrasique totale, de même de nouveaux modèles, grammaticaux, rhétoriques et poétiques sont nécessaires pour décrire des traits discursifs aussi irréguliers, excentriques, hétéromorphes. 256 ’Aussi bien, cette rhétorique du chaos à l’œuvre dans La Lutte des morts, cette confusion extrême rappellerait presque le Mahabharatha tant il est difficile, surtout pour un non-initié, de trouver rapidement ses marques et de se repérer à travers toute une forêt de nouveaux symboles, de nouveaux concepts et de nouveaux personnages ; dans cette complexe épopée, la récurrence de scènes de guerre, de conflits, de combats et de champs de batailles rappelle encore la pièce de Novarina. Autres correspondances possibles entre cette splendide épopée et l’œuvre de Novarina : la dimension sacrée, les effets de répétition, les formules récurrentes, les même situations qui reviennent encore et toujours mais dans un contexte à chaque fois différent, le thème du renversement et de la réversibilité, l’importance de la parole, le sous-texte politique, etc.
La question à poser à Valère Novarina est ici la suivante : que dirait-il d’un recueil qui contiendrait toutes ses pièces ? D’une Bible contenant tous ses livres ? D’un grand Mahabharatha novarinien ? On le fit récemment pour La Recherche (aux éditions Quarto, chez Gallimard) et cela se justifiait pleinement – mais pour la Recherche novarinienne ? Que faut-il faire ? Et surtout : que faudra-t-il faire une fois que l’œuvre sera achevée ? Quelles seront les volontés de l’auteur ? Un "Tout Novarina" sera-t-il envisageable ? Le papier-bible (qui s’imposera à plus d’un titre) permettra-t-il de tout caser ? Quoi qu’il en soit, ce serait là un bien beau livre, épique, multiforme et chatoyant, à l’image du Mahabharatha.
Allen S. Weiss, « Le théâtre de la possession », Java, op. cit., p. 25.