2.4.2. Lames de fond et tectonique de la parole 

Lutte des morts ou lutte des mots ? La question ne se pose plus au bout d’un moment. On pense à l’œuvre ultime de Nathalie Sarraute, Ouvrez, mais les mots, dans ce texte très court, se font des niches, des farces : le ton reste amusant, badin. Dans La Lutte des mo(r)ts, cela ne plaisante pas : il faut se battre pour rester en vie.

Evoquées ci-avant, toutes ces métaphores, de la tectonique des plaques, de la tempête, de la machine à laver voire du shaker et de la corbeille de loto correspondent bel et bien à la réalité de la langue française, à son caractère formidablement mobile, volatil, et en un mot révolutionnaire. De même, certains mots meurent en effet et ne se relèvent plus ; pensons à l’argot magnifique des années 30-40-50 : qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Cette posture nostalgique n’est pas celle d’un Novarina : il est celui qui compte les points et rend compte du match – c’est qu’il y a du commentateur sportif en lui.

Pour décrire son propre style, Céline l’avait comparé au rigodon, cette danse très vive et très gaie, très enlevée. Il est donc significatif et en somme moyennement étonnant de constater que le « bolegata » – « sorte de rigaudon ancien » (voir article précédemment cité) – soit de la même famille que le verbe « bolegar » qui donna « bouléguer ». De même, le rapport novarinien à la langue, par sa vivacité extrême, pourra évoquer le rigodon célinien voire le caractère catastrophique des romans de la fin – Rigodon bien sûr mais aussi D’un château l’autre et Nord (dans ce denier livre, toutefois, ce n’est pas la mer qui se déchaîne, mais un autre élément : le feu !). Un livre comme Rigodon reste toutefois d’accès relativement facile par rapport à La Lutte des morts, ou même à Guignol’s Band, ouvrage qui, par sa complexité formelle, est en quelque sorte le Finnegans Wake célinien. Par ailleurs, dans son refus de la « féerie », qu’il reporte (cf. « pour une autre fois »), Céline semble davantage en prise avec la réalité : auteur d’une pièce, de chansons et de ballets, c’est tout de même le roman et la chronique qui l’emportent in fine. Novarina, lui, va vraiment ailleurs, ceci pour reprendre un titre de Michaux…

Ailleurs : esthétiquement, littérairement : sans doute. Mais pour le reste, nous dirons qu’il analyse de façon plutôt sérieuse voire technique des mouvements invisibles à l’œil et à l’oreille (ici : parler de ce qu’on ne peut voir ou entendre, c’est cela qu’il faut dire), le passé et l’étymologie étant sans doute étudiés empiriquement mais, malgré tout, de façon plutôt plausible et satisfaisante pour l’esprit :  sans bien sûr mettre Saussure aux oubliettes, rendre compte du match (grâce à l’écriture, au style et à la rhétorique utilisée) est peut-être même une piste nouvelle (ou en tout cas intéressante, à considérer) pour la linguistique et la philologie.