2.5.4. Non aux alphabons (et à Irma Grammatica)

→ Bon pour le dico

Dès Le Babil des classes dangereuses, notre potache fit des siennes, lançant notamment (à la page 164) une pique acérée à l’endroit de l’Académie française à travers cet échange très drôle : « – Où en est l’élaboration de votre dictionnaire / – A la deuxième lettre. Trop de monde parle ». Sans toutefois faire de la coupole un vivier de « doctusses », nous devinons que l’auteur a plus d’affinités avec Alain Rey ; cela dit, le Robert est également une institution.

En fait, il semblerait que ce soit plutôt l’alphabet lui-même, l’ordre qu’il implique et l’ordre en général (linéarité implacable, rigidité intellectuelle peu propice à la vraie création, austérité de façade, approche par trop scolaire, manque criant d’authenticité, etc., etc.) que Novarina s’amuse à critiquer.

En somme, ce qu’il refuse c’est une mise au pas passant par le langage dont les livres d’Orwell nous ont donné de terribles aperçus. Certes il veut bien de l’alphabétisation (c’est un passage obligé) mais certainement pas de l’«asphaltisation des esprits » (A.I., p. 92) : les esprits ne doivent pas être bouchés comme par du bitume ni les lumières de l’esprit « éteindées » comme de vulgaires chandelles ni les « orilles » violées par les sons sordides, sirupeux mais hélas parfois séduisants que nous susurrent de télévisuelles sirènes ou les suppôts de Boucot.

« Non aux alphabons ! » s’exclame-t-il, comme l’ancien soixante-huitard qu’il n’est pas vraiment. Dans L’Acte inconnu, il semble presque désirer la mort de tous ces « alphabons de malheur » : « A la fin, l’alphabet va-t-il passer ? » demande-t-on avec une pointe d’exaspération à la page 171 ; ne pourrait-on pas fonctionner autrement, sans toujours se référer à la grammaire, aux dictionnaires et à cet ordre alphabétique enfin, si dénué de fantaisie  ?

Au fond, on le sent bien : le problème n’est pas vraiment l’alphabet et les lettres en elles-mêmes mais plutôt l’ordre alphabétique et grammatical voire la trinité sujet-verbe-complément lorsqu’elle ressemble trop à celle du métro-boulot-dodo. Quant au nom « Irma Grammatica » (A.I., p. 9), il est drôle mais tout en évoquant celui d’une austère maîtresse-femme peu commode et possible cousine de Dame Anastasie. Autre modalité de répression : les « Brigades grammaticales » de La Scène, qui sont peut-être aux ordres d Irma-la-dure et qui dans L’Acte inconnu se voient renforcées par le jury de « Parenthèses-et-Guillemets » et par les « Amis de la langue de Buis », sans oublier, le « caporal Trope », le « secrétaire aux adjectifs » (A.I., p. 63) et autres « homologues aux homologies » (A.I., p. 95).

Quoi qu’il en soit, il semblerait qu’on puisse voir les choses ainsi : une fois associées et mises en mots bons pour le service (éventuellement militaire) et le dictionnaire, voici que les lettres perdent un peu de leur magie initiale mais on peut toujours remédier à cela en se plaçant sur un plan plus théologique (comme dans le cadre d’éventuelles études, juives ou autres) ou en essayant de se servir autrement des lettres, de prendre d’autres options ou même d’inventer de nouveaux mots comme s’y emploie Valère Novarina.