2.7. Musique et chaos

Pour proposer un autre type d’approche de la question, disons ceci – qui choquera certains (mais qu’importe !) : ce qu’il fait avec les mots, Jimi Hendrix le faisait avec les notes. Cela dit, il conviendrait de nuancer tout de suite ce propos : les effets de distorsion permis par la guitare électrique, les jeux avec l’effet "larsen" et toutes les options bizarres, l’impression de chaos et de déconstruction extrême n’empêchent pas que ce musicien inclassable savait en réalité très bien, grâce à une maîtrise incroyable de son art et de son instrument, où il s’aventurait, où il nous emmenait et ce qu’il fallait faire. Bref, le côté "destroy" de sa musique était en fait très relatif ; à force de l’écouter, on peut se rendre compte que cet artiste était même un des plus grands mélodistes de tous les temps et un architecte d’un type nouveau ayant construit de véritables cathédrale de sons.

De même, devant les premiers jazz band américains, Cocteau, fasciné, prétendait se trouver en présence d’une « magnifique catastrophe apprivoisée » : cette très belle expression pourrait convenir à l’art novarinien – et à celui d’Hendrix. Hélas assez peu connaisseur en Jazz (mais lire du Novarina constitue peut-être une sorte d’initiation indirecte, d’entraînement), il nous semble cependant que Sun Ra, Art Tatum et Miles Davis (voire Astor Piazzola) pourraient également, du point de vue des initiatives inattendues, être comparés au dramaturge - c’est encore moins sûr pour Scarlatti, Bach et Chopin (car là, notre culture est parfaitement nulle) mais une certaine vitesse à l’œuvre dans certains airs ultra-fugués et proches du swing pourra éventuellement procurer des émotions comparables à celles qu’on éprouve en écoutant la voix de certains acteurs novariniens, André Marcon et Daniel Znyk notamment.

Enfin, feuilletant l’Encyclopaedia Universalis, nous sommes tombés par hasard sur un article dont nous recopierons un passage où ce qui est décrit. pourrait s’appliquer parfaitement à la musique novarinienne  :

[…] Parker peut être qualifié de révolutionnaire […]. Il ne fait pas table rase du passé […]. La dissonance […] n’est pas évitée […]. Si sa technique lui permet des tempos ultra-rapides, le trait volubile […] n’est pas pour lui simple fantaisie décorative ni remplissage gratuit. Il s’agit d’une véritable esthétique du tumulte, Parker se lançant parfois dans un débit haché et cahoté […], d’une glorification du mouvement […] . Tous ces éléments ne s’assemblent pas de manière anarchique mais s’imbriquent […] dans un swing renouvelé certes mais irrésistible. 273  

Bop, Novarina ? C’est bien possible ; autre correspondance avec l’art de Parker : l’approche singulière de la question du temps (telle qu’analysée par Cortazar dans L’homme à l’affût) qui serait dans les deux cas plus plastique que linéaire – mais cette perception est beaucoup trop subjective pour que l’on puisse en parler ici.

Notes
273.

Pierre Breton, « Charlie Parker », Encyclopaedia Universalis.Tome 17, p. 533.