3.2.4. Le Vieil Adam perdu

Il nous paraîtrait difficilement croyable que Novarina (ou alors après coup) n’ait pas pensé au Petit Poucet en inventant la métaphore des « cailloux verbaux », en parlant (inL.C.) des mots qu’on jette « comme des cailloux » et en écrivant toutes ces phrases étranges semblant confondre mots et cailloux, associant « mot » à « morceau de pain » ou évoquant les notions de « chemin », de « marques au sol », de « pas », de « séparation », « d’errance », de « nuit » et de « sortie » – cela, d’ailleurs, se retrouve encore dans Lumières du corps .

Allons plus loin en affirmant ici que le « Petit Poucet » n’est pas seulement le « je » du Discours aux animaux (repris donc dans les deux adaptations pour la scène qui font l’objet de notre étude) ou bien le lecteur se débattant dans la forêt des mots de Novarina, mais que c’est surtout le « vieil Adam parlé », c’est à dire l’être humain de façon générale.

Bref, le Petit Poucet, c’est l’homme. Ou « l’animal du temps » – en ce qu’il a conscience du temps qui passe ? Qu’il essaie péniblement, pathétiquement (c’est sa façon de se raccrocher aux branches) de se situer dans un temps pensé, historique, linéaire, littéraire ? Par une curieuse coïncidence (en est-ce une ?), ce titre éponyme contient d’ailleurs la notion d’homme telle qu’elle s’exprime dans la Genèse ; c’est que dans « L’Animal du temps » (cf. le A, le d, le a, le m), on peut retrouver "Adam". Ce dernier s’est peut-être mis à parler pour se repérer dans la forêt du monde et baliser son terrain : au début, ça n’était pas grand chose mais finalement, vaille que vaille, l’homme, s’appuyant sur des mots (qui sont comme des cannes ou plutôt comme un habit qui le protège), avance sur les « chemins au bout desquels il n’y a plus rien » ; il s’encourage même : « Prenons-les d’un pas décidé et jusqu’à la fin du monde, tenons-nous-y ! » (O.R., p. 121).

De même, l’auteur part de petits rien pour bâtir son œuvre. Il a ses petits cailloux à lui, ses miettes, ses points de repère. L’étudiant-thésard peut essayer de refaire le chemin mais cela ne relève pas d’une tentative/entreprise de déconstruction : cela a plutôt à voir avec le chant des oiseaux grâce auquel on avance avec difficulté : on se repère encore moins mais il y a quand même un chemin (musical, rhétorique) sur lequel avancer. Le reste est une affaire de foi, d’intuition, de temps, de patience et de travail.