3.4. Présence du conte de fée

Un peu comme chez Cadiot, les personnages habituels du conte se retrouvent peu ou prou et par la bande dans l’œuvre de Novarina et nous recenserons même une nouvelle figure ogresque dans la « forêt des mots » (p. 213) / « forêt de tout » de Je suis : il s’agit d’un « grand-père-à-la hache-à-la-main avec dedans-les-dents cette phrase qu’il mange » (p.62). De même, Barbe-Bleue, ogre s’attaquant plus spécifiquement au féminin, se retrouve peut-être un peu dans cette nouvelle comico-monstrueuse des Machines à dire voici :

‘Le forcené d’Oléron vient de mettre fin à ses jours. Voyez les corps des cent quarante petites victimes allongées dans l’ordre. Dans le sang encore frais, Marie-Odile Bouchoux.’

Cela dit, le Petit Poucet, dans sa ressemblance avec Adam (tel que présenté par Novarina : un/nu, laissé seul, abandonné par Dieu, etc.) nous paraît la figure la plus représentée - elle fut aussi, plus fugacement, évoquée par Céline, dans Mort à crédit : « En montant les Champs Elysées, c’est une nuit énorme. Il trissait comme un voleur. J’avais peine à le suivre. On aurait dit qu’il tenait à me perdre », cette impression pouvant aussi être celle de celui qui essaie de suivre le narrateur-auteur du Discours dans le récit complexe de ses mille enfances.

Le narrateur-auteur lui-même semble nager en pleine confusion. Quant à l’auteur, gageons que lui-même se perd parfois dans ses forêts – en tous cas et s’il faut en croire Ovide, la mésaventure serait arrivée au créateur du Labyrinthe.

Dédale multiplie avec d’innombrables routes les risques de s’égarer ; et c’est avec peine qu’il put lui-même revenir jusqu’au seuil, tant la demeure était pleine de pièges 281 .

Or, dragon ou Minotaure : que trouve-t-on, une fois sorti (si c’est possible) du Labyrinthe novarinien ? Dans Le Babil des classes dangereuses, on évoquera en passant un autre personnage, plus lié à l’univers du conte de fée : « Voici Zoubia, crête carnée, poursuivant Cendrillon, plume au cul ! » (B.C.D., p. 161). Le petit Chaperon rouge sera également évoqué, mais plus implicitement, dans Le Discours aux animaux (et à la page 39 de L’Animal du temps) à travers les paroles d’une chanson (et une formulation fort étrange) : «Vite Jeannot / Va-t’en chercher du beurre pour ta mère / Qui est malade dans ce tout petit pot ». Quant au Chat Botté, il est « grimé » chez Novarina (et, en puissance : crimé). La cruauté à l’œuvre est souvent celle des contes, surtout dans Le Drame de la vie, où tous les personnages sont des "crimeurs" en puissance ; certains de ces ogres semblent liés à l’ombre (voire à l’obscurité d’une forêt) : si la « nuit […] coupe le jour » (D.V., p. 249), « Simplaçon […] sort avec son nonchalant couteau. Voyez-le qui s’avance dans la lumière bleue ».

Quoi qu’il en soit du conte et du rapport de l’auteur au conte, ne perdons pas de vue le sens métaphorique que nous donnons ici à la référence au Petit Poucet : il s’agissait surtout pour nous d’illustrer (efficacement ?) cette inquiétante obscurité (dangerosité ?) de la forêt novarinienne.

Notes
281.

Ovide, Métamorphoses VIII / 160-192, Garnier-Flammarion (traduction par Joseph Chamonard), 1966.