3.5. Déplacement géographique et forêt intérieure

Remarquons que nous n’avons jusqu'à présent parlé que de forêt mais pas vraiment de jungle ; or, ce mot (renvoyant davantage aux notions de chaos, de "touffosité" et de folie furieuse) conviendrait sans doute beaucoup mieux pour qualifier l’art novarinien. D’ailleurs, détail amusant, le je du Discours aux animaux, dit jouer « de la trompe dans un bois splendide » (p. 321) – tout en fait, en somme, comme un certain Seigneur de la Jungle (en plus comique, moins sûr de lui et plus désespéré) poussant son célèbre cri comparable à un yodl (le mot apparaissant chez Novarina) et visant à communiquer (cf. appeler, prévenir) avec certains animaux (éléphants, notamment) se pacifiant devant lui comme les oiseaux de la fin du Discours aux animaux. Quant à nous qui lisons Le Discours aux animaux, L’Inquiétude ou L’Animal du temps, nous pouvons parfois nous faire l’effet de chimpanzés très maladroits s’accrochant à des branches qui n’arrêtent pas de casser ou, comme en certaine chanson frustrante de L’Opérette imaginaire, de se dérober à nous au tout dernier moment : on croit qu’on va attraper une liane, mais c’est le fiasco : patatras ! Tout est toujours à recommencer.

Plus sérieusement, le déplacement du conte de fée concerne surtout le passage de l’extérieur (ici, presque complètement évacué : pas de contexte social, politique, historique) à l’intérieur : ce sont des "Enfances de cent ans"racontées par un qui les a vécues de l’intérieur (et parfois subies). Ici, nous sommes en face d’un monologue à rapprocher des premiers romans de Beckett : Novarina, qui les a beaucoup lus (surtout L’innommable) s’en est d’ailleurs sans doute inspiré –mais le monologue intérieur novarinien est peut-être encore plus multiforme et déroutant. Bref, si l’on y trouve des éléments relevant du conte de fée classique comme l’enfance et la forêt, ces derniers sont systématiquement retravaillés à la première personne.

Dans le conte, on part toujours de la troisième personne ; chez Novarina, la forêt est intérieure : c’est celle que (qui ?) traverse le je. Pourtant, le résultat est le même : cela, cette quête (quête-forêt étant novariniennement plus précis que quête en forêt) produit du récit (fût-il très déconstruit et parfois même anarchique comme une jungle) voire du mythe –nous semble que c’est le cas.