3.6.1. L’acteur comme guide : le rôle d’André Marcon

Pour le récepteur, le seul moyen de ne pas se perdre complètement dans la forêt très obscure, c’est peut-être d’écouter l’acteur : c’est lui qui sait, notre Virgile. Le cours de Léopold von Verschuer dans La Scène n’est comique qu’en partie : il s’agit d’écouter son enseignement (pratiquer le vide, etc.). Idem pour le Monsieur Loyal de L’Origine rouge : celui qui est au-dessus de la mêlée (cf. agrandissement impressionnant de son ombre) et qui dirige les débats, c’est bel et bien André Marcon aux inquiétantes prophéties.

C’est encore André Marcon qui peut nous rendre sensible à la détresse comique du "je" de L’Inquiétude et nous faire comprendre que le narrateur-auteur est au fond un bluesman métaphysique capable de danser et de faire le clown en disant des comptines et des fatrasies très rythmées. Seul face au texte, il est parfois difficile de faire danser les mots dans sa tête, de comprendre que l’auteur écrit avec et pour l’oreille : l’acteur nous fournit des clefs, nous explique en quoi c’est possible – mais sa manière n’est pas didactique : comme Novarina, Marcon connaît la musique et sait en gros où il va (et c’est pour cela qu’il convient de le suivre et de lui faire confiance).

Le plus difficile, c’est de quitter l’acteur, de lui lâcher la main : il n’y a certes pas trente-six manières de dire le texte mais comment s’en sortir sans lui, l’acteur ? Comment ne pas suivre son exemple ? Comment entendre une autre voix (la sienne par exemple) que celle d’André Marcon ? Comment, maintenant, imaginer L’Inquiétude dit par quelqu’un d’autre ? C’est un problème qu’on peut éluder en se refusant à écouter les enregistrements qui existent mais une fois que c’est fait, que cette voix est dans votre oreille, c’est alors comme un combat qui commence, pour un lecteur et a fortiori pour un acteur (quel défi pour ce dernier !), un combat pour parvenir à opposer autre chose, qui serait plus personnel mais tout en respectant le texte et le souffle qui est dedans – mais ceci est une autre histoire et sort un peu de notre sujet.