3.6.3. L’homme-forêt

Au fond, dans L’Inquiétude, il n’y a pas de forêt, à moins qu’elle ne soit surtout intérieure, psychologique, cérébrale, mentale. C’est que, dans la « forêt des phénomènes » (pour user de catégories philosophiques), il s’agit aussi de trouver ses repères (et de semer des cailloux) à l’intérieur de la « jungle des sensations » : le bois de la langue a beau être « splendide », cela complique singulièrement le problème pour le lecteur mais aussi pour le « je » novarinien – avec lequel il peut éventuellement se confondre (par empathie, sympathie, sentiment de connivence voire de complicité, de familiarité) –, c’est à dire un personnage seul face à Dieu perçu non comme un ogre mais comme un vide, la possibilité de l’anagramme suggérée (cf. DIEU/VIDE, nous y reviendrons) n’étant pas forcément le fruit d’un simple hasard objectif qui serait banal, amusant et sans conséquences pour le Petit Poucet.

Heureusement, l’œuvre (à l’image d’un utile et providentiel sac de cailloux ?) est là pour débrouiller le sac de nœuds gordiens et sortir du labyrinthe-forêt ; bref, on pourra passer à autre chose, vivre et avancer. Enfermé dans un labyrinthe imaginaire, cloîtré dans une prison aux barreaux de fumée et confronté aux mêmes sacs de nœuds a priori inextricables, l’homme qui dort de Perec en arrive d’ailleurs aux mêmes conclusions (cf. fin du roman) : « pauvre Dédalus, il n’y avait pas de labyrinthe. Faux prisonnier, ta porte était ouverte ». Et on pourrait novariniennement ajouter "Le livre était là, qui s’est fait sans toi", sorti vivant d’un tissu d’erreurs, d’embûches et de fausses pistes. C’est un espoir pour celui qui est encore enfermé (« j’aurai chance hors du labyrinthe » clame Césaire) : une sortie (et même une vie après) serait donc envisageable…